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droit de préemption - Page 12

  • Réforme du droit de préemption (II)

    Sénat2.jpgCommuniqué du 5 octobre 2010 de la Commission de l’économie du Sénat

     Proposition de loi de simplification du droit : la commission de l’économie souhaite la suppression de la réforme du droit de préemption

    Lors de l’examen, mardi 5 octobre, de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, la commission de l’économie du Sénat présidée par M. Jean-Paul Emorine (UMP – Saône-et-Loire), a proposé, à l’initiative de son rapporteur pour avis, M. Hervé Maurey (UC – Eure), de supprimer la réforme du droit de préemption prévue par le texte.

    Sur la forme, il a estimé qu’une réforme d’ampleur du droit de l’urbanisme, compétence essentielle des collectivités territoriales, n’avait pas sa place dans une loi de simplification.

    Sur le fond, il a jugé le texte proposé déséquilibré et inopportun. En enserrant le droit de préemption dans des conditions d’utilisation très contraignantes, il réduirait la capacité des collectivités à mener des politiques foncières et d’aménagement. En créant de nouvelles notions aux contours imprécis, il pourrait, à rebours de l’objectif affiché de sécurisation du droit, susciter de nouveaux contentieux. Le rapporteur a relevé que des aménagements au droit existant en matière de préemption étaient sans doute nécessaires et souhaité engager une réflexion sur ce sujet avec l’ensemble des acteurs concernés.

    Plus largement, M. Hervé Maurey a estimé que la proposition de loi illustrait à l’extrême les défauts des lois de simplification telles qu’elles sont conçues depuis 2003:

    - « fourre-tout » dès leur élaboration, ces textes deviennent, au fil de la navette, de plus en plus volumineux et illisibles : la présente proposition de loi est passée de 150 articles (contre respectivement 12 et 50 pour les deux précédentes) à 206 articles lors de son examen par les députés ;

    - leurs conditions d’examen au Parlement sont peu satisfaisantes : la durée moyenne de discussion en séance de chaque article s’est élevée à deux minutes à l’Assemblée nationale et quatre commissions sont saisies au Sénat ;

    - l’introduction d’articles additionnels sur de multiples sujets, à l’initiative de parlementaires et surtout de nombreux ministères, ne crée pas les conditions d’un débat parlementaire éclairé et accroit le risque d’erreurs juridiques.

    M. Hervé Maurey a en conséquence jugé souhaitable d’adopter une démarche alternative, inspirée des autres pays développés et fondée sur des lois de simplification sectorielles.

     

    avocat.jpgCommentaire : Le Sénat, traditionnellement vigilant à la qualité des textes législatifs, vient de prendre une position qui l’honore.

     

    Sa Commission de l’économie vient en effet de proposer de supprimer la réforme complète du droit de préemption de la très volumineuse proposition de loi de simplification du droit.

     

    Le communiqué de la Commission reprend les critiques de forme qui ont été déjà formulées ici en les amplifiant : relever que seulement 2 minutes ont été consacrées à l’examen de chaque article à l’Assemblée nationale est dévastateur...

     

    La Commission adresse aussi un reproche de fond à la proposition de loi qui serait déséquilibrée puisque « en enserrant le droit de préemption dans des conditions d’utilisation très contraignantes, le texte réduirait la capacité des collectivités à mener des politiques foncières et d’aménagement »

     

    Le texte est en réalité doublement déséquilibré :

     

    En imposant, dans certains cas, une préemption au prix de la vente, il retire aux élus la possibilité de préempter à un prix inférieur à celui auquel le vendeur et l’acheteur était arrivé.

     

    Il fait donc craindre aux élus qu’ils ne pourront plus faire pression, comme cela arrive, parfois sur le vendeur. Ils peuvent aussi craindre que le vendeur ne soit tenté d’adopter un prix surévalué afin, soit d’empêcher la préemption, soit de contraindre à ce qu’elle soit exercée à un prix excessif.

     

    Un autre déséquilibre, auquel les élus sont moins sensibles, existe néanmoins également. Le secrétaire d’Etat au logement Benoist Apparu a ainsi déclaré devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale vouloir instituer aussi « un simple droit de priorité quand un immeuble peut intéresser une commune en l’absence de projet déterminé »

     

    En permettant ainsi une préemption sans projet, la proposition porte une atteinte très importante au droit de propriété, droit qui passe aussi par la possibilité pour un propriétaire de céder son bien à l’acquéreur de son choix. Seule l’existence d’un intérêt général permettait jusque là de justifier une telle atteinte au droit de propriété.

     

    Or, préempter sans projet déterminé, c’est pour une collectivité publique pouvoir préempter partout, pour des raisons de pure opportunité financière. C’est prendre le risque de transformer les communes en spéculatrices, achetant quand elles estimeront qu’un bien n’est pas cher, alors qu’elles n’en ont aucun besoin, privant ainsi l’acheteur du fruit de sa négociation. C’est un mélange des genres très dangereux avec l’utilisation d’une prérogative de puissance publique – la préemption – dans un but purement privé – la spéculation foncière-.

     

    La réforme du droit de préemption mérite donc en effet mieux que d’être votée à la sauvette dans un texte fourre-tout.

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

  • Préemption et Convention européenne des droits de l’homme

    Conseil d’Etat 10 mars 2010 Levy c/ Communauté urbaine de Strasbourg, req. n° 323081

     

    Conseil d'Etat.jpg

     

    Extrait : « Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ;


    Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, à la suite de deux décisions de préemption prises en 1992 en vue de la réalisation d'équipements publics, la communauté urbaine de Strasbourg a procédé à l'acquisition de parcelles appartenant à MM. Jean et Guy A pour un montant, fixé par le juge de l'expropriation, sensiblement inférieur à celui qui avait été proposé par l'acquéreur évincé ; qu'en l'absence de toute réalisation d'équipements publics sur les parcelles en question, MM. Jean et Guy A ont demandé en 2003 à la communauté urbaine de Strasbourg, sur le fondement des stipulations citées ci-dessus du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une indemnisation du préjudice qu'ils estimaient avoir subi du fait de l'écart entre le prix très avantageux auquel leurs terrains auraient pu être vendus et leur prix d'acquisition par la communauté urbaine ; qu'ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy qui a confirmé le rejet de leur demande par le tribunal administratif de Strasbourg ;


    Considérant, en premier lieu, que, pour rejeter l'appel de MM. Jean et Guy A, la cour a estimé que le prix initialement proposé par l'acquéreur évincé n'était pas en rapport avec la valeur vénale des terrains et que cet acquéreur n'aurait, en conséquence et dans les circonstances particulières de cette vente, pas nécessairement maintenu son offre d'acquisition ; que ces faits, souverainement appréciés par la cour, établissaient ainsi que MM. Jean et Guy A ne justifiaient avoir été privés, en raison de l'échec de cette vente, ni d'une indemnisation raisonnablement en rapport avec la valeur de leurs biens, ni de l'espérance légitime d'une cession de ces mêmes biens à un prix plus favorable ; qu'il s'en déduisait dès lors nécessairement que, ainsi que l'a relevé la cour sans entacher son arrêt d'erreur de droit ou d'inexacte qualification des faits dont elle était saisie, les décisions de préemption litigieuses n'avaient pas fait peser sur les requérants une charge disproportionnée de nature à caractériser une méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel cité ci-dessus ;


    (…) Considérant, en troisième lieu, qu'alors que l'augmentation de la valeur vénale des terrains postérieurement à la préemption doit être prise en compte s'agissant de l'acquéreur évincé, elle ne saurait, en revanche, avoir d'incidence sur l'appréciation de l'atteinte portée aux droits protégés par l'article premier du premier protocole additionnel à l'égard du propriétaire initial ; que, si la cour a relevé que les terrains préemptés n'avaient bénéficié d'aucune plus-value postérieurement à leur acquisition par la communauté urbaine de Strasbourg, il résulte des termes mêmes de l'arrêt attaqué que ce motif présentait, en tout état de cause, un caractère surabondant ; »

     

     

    Strasbourg.jpgCommentaire : En matière de décision de préemption, lorsque le vendeur d’un bien préempté s’estime lésé, il doit démontrer l’illégalité de la décision de préemption. Sans illégalité, il n’a pas droit à être indemnisé (CE, 7 mai 1986, SA Études Malesherbes).

     

     

    De même, il a été jugé que la Convention européenne des droits de l’homme ne pouvait être invoquée par des acquéreurs évincés qui demandent à être indemnisés pour n’avoir pu procéder à l’acquisition du bien (CE 8 décembre 2000 Meirone).

     

    Ces deux certitudes semblent remises en question par l’arrêt commenté qui admet d’envisager l’indemnisation du vendeur et de l’acheteur sur le seul terrain de l’atteinte aux biens. Il convient toutefois d’être prudent car cet arrêt ne pose aucun considérant de principe, se contentant d’approuver l’appréciation souveraine du juge du fond qui a rejeté la demande indemnitaire, imposant ainsi un raisonnement à contrario.

     

    En l’espèce, les vendeurs d’un bien immobilier avaient fait l’objet, après décision de préemption et fixation d’un prix par le juge judiciaire, d’une cession de leur bien au tiers du prix auquel ils devaient initialement le vendre.

    Ayant constaté, 11 ans après, l'absence de toute réalisation d'équipements publics sur les parcelles préemptées, les vendeurs ont demandé à l’administration préemptrice, sur le fondement de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, une indemnisation du préjudice subi.

    Le juge du fond a estimé que « le prix initialement proposé par l'acquéreur évincé n'était pas en rapport avec la valeur vénale des terrains et que cet acquéreur n'aurait, en conséquence et dans les circonstances particulières de cette vente, pas nécessairement maintenu son offre d'acquisition ». Le Conseil d’Etat en déduit que les vendeurs « ne justifiaient avoir été privés, en raison de l'échec de cette vente, ni d'une indemnisation raisonnablement en rapport avec la valeur de leurs biens, ni de l'espérance légitime d'une cession de ces mêmes biens à un prix plus favorable ». En conséquence, « les décisions de préemption litigieuses n'avaient pas fait peser sur les requérants une charge disproportionnée de nature à caractériser une méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel cité ci-dessus. »

    Il faut sans doute en déduire que, à contrario, si les circonstances d’espèce avaient été différentes, la Convention européenne aurait pu être utilement invoquée et les vendeurs indemnisés de l’atteinte à leurs biens. En même temps, la portée de cette innovation risque d’être limitée : soit le prix de vente est très proche du prix initial, notamment après intervention du juge de l’expropriation, et il n’y aura pas atteinte aux biens, soit, comme en l’espèce, il en est éloigné et un doute pourra exister sur le caractère certain de la vente, permettant ainsi de refuser l’indemnisation.

    Le plus intéressant dans cet arrêt est sans doute à rechercher dans un motif surabondant selon lequel, contrairement à ce qu’il en est pour le vendeur, « l'augmentation de la valeur vénale des terrains postérieurement à la préemption doit être prise en compte s'agissant de l'acquéreur évincé ».

    Une telle affirmation constitue une double rupture avec la jurisprudence antérieure qui avait jugé, en ce qui concerne l’acquéreur évincé, que le moyen de la méconnaissance de l’article 1er du 1er protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme était inopérant (CAA Paris 29 décembre 2008 Ville de Paris) et, en ce qui concerne le propriétaire (il est vrai en matière d’expropriation), qu’il pouvait sur ce fondement être indemnisé de la plus value manquée (CEDH 2 juillet 2002 Motais de Narbonne c/ France).

     

    Ce revirement offre d’intéressantes perspectives d’indemnisation à l’acquéreur, empêché de faire une bonne affaire du fait d’une décision de préemption. Il lui offre une solution alternative à celle du couple annulation / rétrocession qui exige que la décision de préemption soit illégale. Ce revirement pose toutefois aussi de nombreuses questions sur les modalités de calcul et sur les conditions d’un tel droit à indemnisation.

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

  • Question prioritaire de constitutionnalité

    Conseil constitutionnel.jpgArticle 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. 

    Article 62, deuxième alinéa, de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. 

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    Commentaire : La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est entrée en vigueur le 1er mars 2010. Jusqu’à présent, les tribunaux devaient appliquer une loi, même contraire à la Constitution, sans pouvoir s’interroger sur sa conformité à cette dernière. La question prioritaire de constitutionnalité, issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le permet désormais.

    Les juridictions du fond, après renvoi au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation, pourront ainsi amener le Conseil constitutionnel, dans un délai de six mois, à déclarer une loi inconstitutionnelle et à l’abroger.

    C’est un nouveau droit ouvert aux justiciables qui était attendu depuis de très longues années. C'est aussi une disposition qui va permettre, enfin, que le respect de la Constitution ne soit pas laissé au seul bon vouloir des politiques qui, seuls jusqu'à présent, pouvaient saisir le Conseil constitutionnel.

    La garde à vue, la motivation des arrêts de Cour d’assises ou la législation sur les gens du voyage ont donné lieu aux premières questions posées.

    Pour sa part, dès le 1er mars, l’auteur de ce blog a posé devant le juge administratif une question prioritaire de constitutionnalité, dans une matière voisine du droit de préemption, qui est le droit d’expropriation en matière d’immeubles insalubres ou menaçant ruine.

    Alors que l’expropriation est encadrée en droit français par une procédure très stricte et volontairement protectrice, de façon dérogatoire, une loi du 10 juillet 1970 permet d’exproprier sur décision du préfet seul, en versant une simple provision, calculée selon des règles structurellement spoliatrices (prix du terrain seul diminué du coût de la démolition).

    La conformité de cette loi à la Constitution, qui impose le recours au juge judiciaire, traditionnel gardien de la propriété privée, et que soit versée à l’exproprié « une indemnisation juste et préalable », est plus que douteuse.

    A titre d’illustration, sur la base de cette loi, un studio en région parisienne peut ainsi être indemnisé moins de 5000 euros ! L’atteinte au droit de propriété, droit garanti par la Constitution, imposait d’utiliser cette nouvelle procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

     

  • Réforme du droit de préemption (I)

    Une proposition de loi dite de simplification et d’amélioration de la qualité du droit a été déposée le 7 août 2009 par M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale. C’est la 3eme loi du même ordre.

     

    Cette proposition a été adoptée en première lecture le 2 décembre 2009. Elle poursuit son chemin au Sénat où un rapporteur, M. Saugey, vient d’être désigné le 13 janvier 2010.

     

    Même en cherchant un terme plus mesuré, je n’arrive pas à ne pas qualifier cette proposition de loi  de « monstre législatif ».

     

    En effet, son, ou plutôt ses auteurs, se sont ingéniés à en faire le contraire de ce qu’elle annonce.

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    Il s’agit officiellement d’une proposition de loi, parce que déposée par un parlementaire.

     

    Elle a été, en réalité, ainsi que M. Warsmann l’a admis, largement alimentée par le Gouvernement, dont les ministères sont trop heureux de pouvoir faire adopter les projets en souffrance qu’ils n’arrivaient pas à faire inscrire à l’ordre du jour. C’est donc plus un projet déguisé en proposition de loi, qu’une véritable initiative parlementaire.

     

    Il s’agit officiellement d’une loi.

     

    Il y a en réalité plusieurs lois, tant le texte aborde de multiples sujets qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Parmi de nombreux exemples, il y a peu en commun entre les fuites d’eau non détectées, la compensation du handicap, la récupération en mer des conteneurs et l’organisation des secours dans les tunnels, qui pourtant, tous, figurent dans la proposition de loi.

     

    Il s’agit officiellement de simplifier le droit, alors que le la longueur du texte semble aller, par elle-même, à l’encontre de l’objectif affiché. Le texte était constitué de 150 articles lors de son dépôt, ce qui est déjà considérable, puis de 193 articles lors de son adoption en 1ere lecture, avant sans doute de continuer encore à croître.

     

    Encore faut-il préciser que certains articles modifient, à eux seuls, des dizaines d’articles de codes ou de lois antérieures. Ainsi, en matière de droit de préemption, le seul article 83 réforme quasiment toute la matière, c’est à dire une centaine d’articles du code de l’urbanisme !

     

    On peut aussi préciser que, parmi les derniers articles de la proposition de loi, cinq autorisent le Gouvernement à légiférer par ordonnance, ce qui n’est jamais très bien vu d’un parlementaire alors que, il faut le rappeler de nouveau, il s’agit officiellement d’une proposition venant de l’un d’entre eux.

     

    Il s’agit enfin, toujours aussi officiellement, d’améliorer la qualité du droit. On peut faire facilement du mauvais esprit en rappelant que l’une des deux premières propositions de loi ayant le même objet a abouti au couac regrettable et involontaire de ne plus permettre de dissoudre une association condamnée pour escroquerie.

     

    Du fait de la taille du texte, les débats en séance publique ont été plus que rapides. Le travail d’amélioration d’un texte que permet son examen serein par le Parlement est donc limité.

     

    La qualité du droit va-t-elle être améliorée ? Soucieux de ne pas laisser s’installer un suspense difficilement supportable, il est possible, dès maintenant, de dire que cela reste à démontrer.

     

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    Ce qui justifie que cette proposition soit abordée ici, c’est qu’elle réforme entièrement le droit de préemption en réécrivant tous les articles du libre deuxième du code de l’urbanisme (les articles L. 200) qui lui étaient consacrés, à l’exception de ceux, qui en auraient pourtant besoin, consacrés au droit de préemption des fonds de commerce et de l’article anecdotique consacré aux jardins familiaux.

     

    La justification de cette importante réforme est répétée en boucle : il s’agit de se conformer au rapport de décembre 2007 du Conseil d’Etat consacré à cette question (La documentation française 2008).

     

    A supposer même qu’une telle justification soit suffisante, elle est fausse.

     

    Il y avait en effet dans le rapport du Conseil d’Etat quelques propositions de réforme du droit de préemption remarquables d’équilibre entre cette prérogative de puissance publique et les droits de l’acheteur et du vendeur. Citons, à titre d’illustration :

     

    -         l’articulation entre zones de préemption ;

     

    -         la question de l’identité de l’acquéreur dans la DIA ;

     

    -         une véritable transparence sur le prix de la préemption ;

     

    -         l’amélioration du paiement du prix au propriétaire préempté ;

     

    -         la reconnaissance d’un droit à indemnité d’immobilisation et d’un droit à indemnisation ;

     

    -         un droit à rétrocession en cas d’inutilisation du bien

     

    -         une unification du contentieux en cas de revente du bien.

     

    Ces différentes propositions permettaient de corriger certains des réels dysfonctionnements actuels du droit de préemption. Elles ont été perdues en chemin.

     

    Alors que trouve t-on – et que ne trouve t-on pas - dans la proposition de loi en matière de droit de préemption ?

     

    C’est ce qui sera abordé dans les jours et les semaines qui suivent, sous forme de feuilleton.

     

    A suivre…

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

  • L'illégalité des préemptions des SAFER

    Conseil d’Etat 9 novembre 2009 M. Antoine A. c/ SAFER de Corse, req n° 315082

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    Extraits : « Considérant que la requête de M. A doit être regardée comme tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture et de la pêche sur sa demande, reçue le 13 février 2008, tendant à l'abrogation du décret n° 2005-1640 du 20 décembre 2005 autorisant la SAFER de Corse à exercer le droit de préemption pour une période de cinq ans ;

     Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ».

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    Commentaire : Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, plus connues sous l’acronyme de SAFER, bénéficient d’un droit de préemption en cas de vente de biens agricoles.  En conséquence, le seul nom des SAFER suffit à inquiéter bien des agriculteurs.

    Les SAFER avaient été initialement qualifiées « d’organismes de droit privé chargés de la gestion d'un véritable service public administratif », faisant du juge administratif le juge compétent pour apprécier la légalité de leurs décisions (CE Sect. 13 juillet 1968, Capus). Puis, le Tribunal des conflits a tranché en faveur de la compétence judiciaire (T. confl., 8 déc. 1969,  SAFER Bourgogne).

    Depuis, les différents niveaux de la juridiction judiciaire ont développé une intéressante jurisprudence sur la légalité des décisions de préemption prises par les SAFER. Pour autant, plusieurs décisions récentes conduisent à conseiller de ne pas négliger les questions de légalité administrative en cas de contestation de telles décisions.

    En effet, un décret est nécessaire pour confier aux différentes SAFER la compétence pour préempter. Or, il semble bien que plusieurs de ces décrets soient entachés d’illégalité. Il peut donc être judicieux, pour contester une décision de préemption, de contester la compétence même de la SAFER.

    Le lien entre l’illégalité des décrets donnant compétence aux SAFER et les décisions individuelles de préemption peut se faire de trois façons :

    -         en contestant directement le décret lors de son adoption. La difficulté est qu’il est difficile à ce stade pour un requérant de savoir si effectivement un bien situé dans la région de compétence de la SAFER sera préempté ;

    -         en demandant l’abrogation du décret. C’est l’apport de l’arrêt commenté qui qualifie un tel décret d’acte réglementaire, ce qui permet, plusieurs années après sa promulgation, de pouvoir saisir le juge administratif et de l’amener à reconnaître, le cas échéant, l’illégalité du décret ;

    -         en soulevant, à l’occasion du recours contre une décision de préemption déterminée formé devant le juge judiciaire, l’illégalité du décret. C’est ce que les juristes appellent une exception d’illégalité. Au regard de la répartition des compétences entre juridictions, cette exception sera examinée par le juge administratif (T. confl., 16 juin 1923. Septfonds).

    Si le décret attribuant compétence à la SAFER est jugé illégal, la décision de préemption prise sur un bien déterminé le sera en conséquence. Ainsi, le bien ne pourra pas être préempté.

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public