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  • L'illégalité des préemptions des SAFER

    Conseil d’Etat 9 novembre 2009 M. Antoine A. c/ SAFER de Corse, req n° 315082

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    Extraits : « Considérant que la requête de M. A doit être regardée comme tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture et de la pêche sur sa demande, reçue le 13 février 2008, tendant à l'abrogation du décret n° 2005-1640 du 20 décembre 2005 autorisant la SAFER de Corse à exercer le droit de préemption pour une période de cinq ans ;

     Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ».

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    Commentaire : Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, plus connues sous l’acronyme de SAFER, bénéficient d’un droit de préemption en cas de vente de biens agricoles.  En conséquence, le seul nom des SAFER suffit à inquiéter bien des agriculteurs.

    Les SAFER avaient été initialement qualifiées « d’organismes de droit privé chargés de la gestion d'un véritable service public administratif », faisant du juge administratif le juge compétent pour apprécier la légalité de leurs décisions (CE Sect. 13 juillet 1968, Capus). Puis, le Tribunal des conflits a tranché en faveur de la compétence judiciaire (T. confl., 8 déc. 1969,  SAFER Bourgogne).

    Depuis, les différents niveaux de la juridiction judiciaire ont développé une intéressante jurisprudence sur la légalité des décisions de préemption prises par les SAFER. Pour autant, plusieurs décisions récentes conduisent à conseiller de ne pas négliger les questions de légalité administrative en cas de contestation de telles décisions.

    En effet, un décret est nécessaire pour confier aux différentes SAFER la compétence pour préempter. Or, il semble bien que plusieurs de ces décrets soient entachés d’illégalité. Il peut donc être judicieux, pour contester une décision de préemption, de contester la compétence même de la SAFER.

    Le lien entre l’illégalité des décrets donnant compétence aux SAFER et les décisions individuelles de préemption peut se faire de trois façons :

    -         en contestant directement le décret lors de son adoption. La difficulté est qu’il est difficile à ce stade pour un requérant de savoir si effectivement un bien situé dans la région de compétence de la SAFER sera préempté ;

    -         en demandant l’abrogation du décret. C’est l’apport de l’arrêt commenté qui qualifie un tel décret d’acte réglementaire, ce qui permet, plusieurs années après sa promulgation, de pouvoir saisir le juge administratif et de l’amener à reconnaître, le cas échéant, l’illégalité du décret ;

    -         en soulevant, à l’occasion du recours contre une décision de préemption déterminée formé devant le juge judiciaire, l’illégalité du décret. C’est ce que les juristes appellent une exception d’illégalité. Au regard de la répartition des compétences entre juridictions, cette exception sera examinée par le juge administratif (T. confl., 16 juin 1923. Septfonds).

    Si le décret attribuant compétence à la SAFER est jugé illégal, la décision de préemption prise sur un bien déterminé le sera en conséquence. Ainsi, le bien ne pourra pas être préempté.

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

     

     

     

  • De l’exigence d’une politique globale pour préempter

    Conseil d’Etat, 6 mai 2009 Commune du Plessis-Trévise, à paraître aux tables

     

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    Extraits : « Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ; qu'aux termes de l'article L. 300-1 du même code : Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ; que si la lutte contre l'habitat insalubre entre dans les objets de l'article L. 300-1 et peut en conséquence justifier l'exercice du droit de préemption urbain, la démolition d'un bâtiment, sa dépollution ou la volonté de restructurer des parcelles ne sauraient constituer, à elles seules, dès lors qu'elles ne s'inscrivent pas dans un projet plus global relevant de l'article L. 300-1, l'une des actions ou opérations d'aménagement mentionnées par les dispositions précitées ;

      
    Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le souci de poursuivre la restructuration parcellaire de la zone , mentionné dans l'arrêté de
    préemption attaqué, ne pouvait constituer à lui seul, eu égard à l'absence de toute précision sur les objectifs poursuivis et au faible degré d'avancement du projet envisagé sept ans auparavant, une action ou opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, la cour administrative d'appel de Paris, qui a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que la volonté de démolir un bâtiment vétuste isolé, même si elle s'accompagne de désamiantage et de suppression de cuves en sous-sol, ne peut être regardée comme une action ou opération de lutte contre l'insalubrité au sens de l'article L. 300-1 ; »

     

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    Commentaire : Le Conseil d’Etat, saisi en cassation d’un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Paris qui avait fait l’objet d’une note ici même (CAA Paris, 4 octobre 2007, Commune du Plessis-Trévise, req. n° 04PA01745), confirme l’annulation prononcée, mais avec des motifs quelques peu différents.

     

    En appel, la Cour avait jugé la préemption illégale, en dépit des trois motifs invoqués par la commune, parce que deux n’entraient pas dans les objectifs posés par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme et que le troisième était insuffisamment précis. La jurisprudence Commune de Meung-sur-Loire interdisait de confirmer purement et simplement cet arrêt.

     

    Aussi, le Conseil d’Etat a procédé par substitution de motifs. La commune avait invoqué la lutte contre l’habitat insalubre pour préempter un bâtiment qu’elle envisageait de démolir. Le Conseil d’Etat pose que, si la lutte contre l'habitat insalubre peut justifier l'exercice du droit de préemption urbain, « la démolition d'un bâtiment, sa dépollution ou la volonté de restructurer des parcelles ne sauraient constituer, à elles seules, dès lors qu'elles ne s'inscrivent pas dans un projet plus global relevant de l'article L. 300-1, l'une des actions ou opérations d'aménagement mentionnées par les dispositions précitées ».

     

    Le Conseil d’Etat rappelle ainsi opportunément que le projet d’action ou l’opération d’aménagement visé par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme doit avoir une certaine ampleur. Le Conseil d’Etat l’avait déjà posé à propos de micro aménagements urbains, notamment en matière d’aménagement de la voie publique. Une décision de préemption doit donc s’inscrire dans une politique globale et non obéir à une logique d’acquisitions de pure opportunité, au gré des mutations envisagées.

     

    Cet arrêt doit être rattaché à la jurisprudence Commune de Meung-sur-Loire, dont le considérant de principe est d’ailleurs repris. Dans cette affaire, une politique de réaménagement et de revitalisation engagée par une délibération municipale et menée dans un secteur donné avait paru pour le juge administratif pouvoir permettre d’établir le caractère suffisamment réel d’un projet.

     

    Avec ces deux arrêts, le Conseil d’Etat tend à faire prévaloir, en matière de droit de préemption, un rôle d’instrument de planification urbaine plutôt qu’un simple droit d’acquisition foncière. C’est aussi réaffirmer qu’entre la possibilité offerte par la loi de préempter pour lutter contre l’habitat insalubre et une décision de préemption ayant un tel objet, il convient d’avoir inscrit cet objectif dans une politique locale, autrement dit de pouvoir établir la réalité d’un projet.

     

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public