préemption

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Les objectifs de la préemption

  • Obligations de respecter l’objet de la décision de préemption

    (Civ. 3eme, 15 mars 2019, société Lery transactions, pourv. n° 17-11311).

    L’article L. 300-1 vise un grand nombre d’actions ou d’opérations d’aménagement. La jurisprudence a déjà admis que l’objectif visé par la décision de préemption soit remplacé par un autre.

    Face à une demande indemnitaire, la Cour de cassation vient d’admettre, dans le cas d’un immeuble préempté « en vue de la mise en œuvre du programme local de l’habitat », puis finalement revendu à une société privée « qu'ayant exactement retenu qu'en application de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, les logements éligibles au prêt locatif social étaient des logements sociaux entrant dans le quota alors fixé à 20 % des résidences principales et que le taux de logement social de 20 % pratiqué dans l'immeuble édifié par la société les Terrasses de [...] répondait à l'objectif du programme local de l'habitat de mettre à disposition des ménages à revenus intermédiaires des logements à loyers modérés tout en garantissant la mixité sociale, la cour d'appel en a déduit à bon droit que les biens acquis par l'exercice du droit de préemption avaient été utilisés aux fins définies à l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme et que la demande de la société Léry transactions devait être rejetée ».

    L’obligation de réaliser 20% de logements sociaux figurait sans doute dans les règles d’urbanisme applicable et se seraient imposées à tout constructeur, y compris l’acquéreur évincé. Il est donc admis que le simple respect des règles d’urbanisme est une façon de mettre en œuvre le programme local de l’habitat. La préemption revient dans ce cas, in fine, à substituer un acquéreur à un autre, pour faire exactement la même chose.

  • Contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation du projet poursuivi par la préemption

    Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation n’est pas totalement inconnu en matière de droit de préemption. La jurisprudence en donne des exemples qui, eu égard au large pouvoir discrétionnaire pour préempter ou ne pas préempter, la plupart du temps estiment qu’il n’y a pas d’erreur (CE, 30 novembre 1984, Villanua, tab. p 773 ; CAA Paris, 7 juin 2007, Ville de Paris, req. n° 06PA04239).

    Il existe cependant des hypothèses ou une telle erreur est retenue (CAA Bordeaux, 9 mars 1995, Commune de Cauterets, req. n° 93BX00778). Le projet peut aussi être jugé inadapté (CAA Nancy, 20 mars 1997, Spéchinor, req 94NC00553) ou, comme en l’espèce, inadéquat.

    Il a ainsi été jugé que « 7 Les parcelles préemptées sont situées à une distance de près de 500 mètres du projet d'aménagement sportif envisagé par la commune d'Orange. Par ailleurs, les cartes produites au dossier démontrent que seule l'avenue Antoine Pinay permet de relier directement ces parcelles au projet du stade du parc des expositions. La commune d'Orange ne démontre pas que la réalisation d'autres liaisons viaires piétonnières ou non entre le bien préempté et le projet d'équipement sportif envisagé serait possible. Au surplus, la commune n'établit pas que ces liaisons permettraient de raccourcir la distance séparant les parcelles préemptées du projet envisagé. Si elle ajoute qu'elle est propriétaire de plusieurs parcelles autour de ce projet, cette circonstance est de nature à démontrer que la collectivité possède des réserves foncières permettant l'aménagement d'accessoires indispensables à proximité immédiate du projet. Ainsi, ce dernier présente un caractère inadéquat compte tenu de sa localisation et ne constitue pas le complément indissociable de l'opération d'aménagement d'équipement sportif envisagée. Il est dès lors dépourvu d'intérêt général comme l'a estimé à bon droit le tribunal. » (CAA Marseille, 14 mai 2018, commune d’Orange, req. n° 17MA03198)

    La jurisprudence récente donne un autre exemple à travers l’exercice d’un droit de préemption sur un droit au bail. La jurisprudence est peu abondante en la matière. Le contrôle de l’objectif poursuivi et de sa réalisation effective peut donner lieu à une appréciation très subtile.

    La préemption d’un bail de restaurant est ainsi annulée pour la raison suivante : « 4. Considérant que l’objectif de préserver ou de favoriser une offre de restauration diversifiée, composée notamment d’un nombre suffisant de restaurants ouverts le soir et proposant un service à table et limitant corrélativement, dans une certaine mesure, le nombre d’établissements proposant une restauration dite « rapide », figure au nombre de ceux qui peuvent être légalement poursuivis par une commune au sein d’un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité ; qu’en outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’activité de bar à salades qu’ils envisagent d’exercer sous l’enseigne « Ankka » entre dans le champ de la restauration « rapide » ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’à la date de la décision en litige, une telle offre de restauration aurait été surreprésentée au sein du quartier du « Faubourg de l’Arche » qui compte une vingtaine de locaux de restauration ; qu’en particulier, le nombre de quatre restaurants « traditionnels », avancé par la commune dans ses écritures en défense, ne prend en compte que des restaurants de type « brasserie » et écarte une dizaine de restaurants italiens, asiatiques ou encore libanais, pourtant ouverts le soir et pratiquant un service à table ; que, de plus, le local commercial au sein duquel les requérants souhaitent développer leur activité n’était auparavant pas occupé par un restaurant « traditionnel » mais par un café de l’enseigne « Starbucks », de telle sorte que la cession de bail litigieuse intervenue le 15 décembre 2015 n’a pas pour effet d’accroître l’offre de restauration « rapide » au sein du quartier ; que, dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que la commune de Courbevoie a commis une erreur d’appréciation en exerçant son droit de préemption sur le bail commercial qu’ils ont acquis le 15 décembre 2015 » (TA Cergy-Pontoise, 5 octobre 2017, commune de Courbevoie, req. n° 1603262).

    Benoît Jorion

  • But de la décision de préemption

    L'article L. 210-1 du code de l'urbanisme pose que « Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 » L’article L. 300-1 du code de l’urbanisme donne, lui, une longue énumération de ces actions ou opérations d’aménagement (huit items, souvent très généraux. Pourtant, la jurisprudence continue à donner des exemples d’objectifs qui ne permettent pas de préempter :

    • « 4. si l'EPT Plaine commune fait valoir à juste titre que l'aménagement sur un site d'un service de logement social participe de la réalisation d'équipements collectifs, il ressort des pièces du dossier que l'objet de la décision de préemption était, après cession des locaux à l'Office Public Communautaire Plaine Commune Habitat, de transférer l'Agence Sud, c'est-à-dire le service d'accueil du public de l'Office, jusqu'ici installé dans les mêmes locaux que son service de gestion, dans des bureaux distincts ; que le seul déménagement d'un des services de l'Office ne saurait être qualifié d'action ou d'opération d'aménagement au sens des dispositions précitées de l'article L.300-1 du code de l'urbanisme » (CAA Versailles, 25 janvier 2018, EPT Plaine commune, req. n° 16VE01323) ;
    • « la réalisation d’équipements collectifs visés par les dispositions de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme ne peut concerner que des opérations qui, d’une part, revêtent une certain ampleur et, d’autre part, relèvent de la compétence des collectivités publiques et sont mises en œuvre par elles ou sous leur contrôle ; que si ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une commune exerce ce droit pour rétrocéder à une autre personne le soin de réaliser l’aménagement prévu, cette autre personne qui doit être une collectivité publique ou être contrôlée par elle ; qu’ainsi, ni l’extension d’un édifice cultuel ni celle du parking réservé aux fidèles, attenant à cet édifice, ne sauraient constituer la réalisation d’un tel équipement collectif » (TA Montreuil, 1er février 2018, commune de Montreuil, req. n° 1702610).

    Benoît Jorion

  • Respect du droit de propriété et droit de préemption destiné au maintien dans les lieux des locataires.

    (Cons. Cons, décision 2017-683 QPC du 9 janvier 2018).

    A côté du droit de préemption urbain institué par le code de l’urbanisme, l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation offre une possibilité de préemption aux communes afin de maintenir les locataires dans les lieux. En cas de division d’immeuble, le législateur a prévu qu’une offre soit faite au locataire. En cas de refus de ce dernier, le prix et les conditions de vente doivent être communiqués à la commune. Cette dernière peut préempter le bien « pour assurer le maintien dans les lieux des locataires » (deux derniers alinéas du I de l’article 10 de la loi).

    Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, sans remettre en cause le mécanisme même du droit de préemption (§ 4), ni le principe de la protection du locataire (§ 6), a reproché au législateur de ne pas avoir « restreint l’usage que la commune est susceptible de faire du bien. En particulier, il n’a imposé à la commune aucune obligation d’y maintenir le locataire ou l’occupant de bonne foi à l’échéance du bail ou à l’expiration du titre d’occupation » (§ 11). La Conseil a aussi reproché au législateur le fait que « le propriétaire ne peut reprendre la libre disposition de son bien, en l'absence de paiement, qu'à l'échéance d'un délai de six mois après la décision de la commune d'acquérir ce bien au prix demandé, la décision définitive de la juridiction de l'expropriation ou la date de l'acte ou du jugement d'adjudication » (§ 12).

    Pour le Conseil constitutionnel, ces deux reproches conduisent à considérer que les deux alinéas de la loi relatifs au droit de préemption des communes « portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété » (§ 13). Il les déclare donc contraires à la Constitution. Le délai de six mois pour payer ou renoncer a donc été jugé excessif. C’est une borne fixée par le Conseil constitutionnel pour les délais de paiement de l’administration expropriante ou préemptrice. Le reproche de ne pas avoir assez encadré les obligations de l’administration à la suite de la décision de préemption, qui constitue une lacune importante de ce droit, pourrait trouver application dans d’autres hypothèses.

    Benoît Jorion

  • Prise en compte du projet de l’acquéreur évincé pour annuler une décision de préemption

    (TA Melun, 4 novembre 2016, SIEMP c/ commune de Créteil, req. n° 1406418)

    Le Conseil d’Etat a déjà jugé que le projet de l’acquéreur n’avait pas à être pris en compte pour apprécier la légalité d’une décision de préemption (CE, 3 décembre 2007, commune de Saint-Bon Tarentaise, req. n° 306949, mentionné aux tables). Il était donc inopérant pour l’acheteur de démontrer qu’il voulait faire exactement la même chose que le titulaire du droit de préemption, par exemple des logements, sans avoir recours à l’argent public.

    Le tribunal administratif de Melun a nuancé une telle jurisprudence dans l’hypothèse suivante : « Considérant qu’il ressort des termes de la décision litigieuse qu’elle est motivée par la nécessité d’augmenter la contingence de logements dont la commune de Créteil a la maîtrise, afin de faciliter les relogements de ménages évincés en raison des opérations de démolition et de rénovation prévues dans le cadre de la mise en œuvre du projet de rénovation urbaine relatif au quartier du Haut du Mont-Mesly qui, selon ses dires, implique la destruction de 471 logements et l’indisponibilité de plus de 2 000 logements, et par la circonstance que les bâtiments préemptés, construits en 1963, n’avaient, à la date de cette décision, fait l’objet d’aucune opération de rénovation depuis leur mise en location et que leur état nécessitait la mise en œuvre d’un programme global de travaux afin de les mettre au niveau de la qualité de l’offre locative sociale proposée par les bailleurs sociaux de la commune ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que la SIEMP avait prévu de vendre l’ensemble immobilier concerné à la société Paris Habitat OPH, bailleur social, qui devait en conséquence maintenir les logements concernés dans le parc des logements sociaux ; que la commune n’établit ni que le programme de rénovation du quartier du Mont-Mesly donnera lieu à des opérations de démolition, de reconstruction ou de travaux exigeant le relogement provisoire des locataires, ni que les éventuels besoins de relogement ne pourront pas être satisfaits au sein du parc de logements dont elle dispose déjà ou par l’établissement d’une convention avec Paris Habitat OPH, ni même que l’acquisition de l’ensemble immobilier concerné lui permettra réellement d’assurer les relogements dont elle aurait besoin dès lors qu’il n’est pas contesté que sur les 170 logements sociaux que comporte l’ensemble immobilier préempté, seuls 7 étaient vacants à la date de la décision litigieuse ; qu’enfin, alors que l’acquéreur évincé du bien, le bailleur social Paris Habitat OPH, avait prévu d’engager une somme de 4 130 000 euros pour la rénovation des N° 1406418 5 immeubles, la commune, qui ne produit aucun devis descriptif expliquant la nécessité d’engager une somme de 6 500 000 euros, n’établit pas que la somme de 4 130 000 euros, était insuffisante pour réaliser les travaux de rénovation imposés par l’état de certains logements ; qu’ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que les objectifs poursuivis par la commune à travers la préemption de l’ensemble immobilier concerné, qui impliquent, selon ses dires, l’engagement d’une somme totale de 15 421 640 euros, ne pouvaient être atteints en cas d’acquisition du bien par le bailleur social Paris Habitat OPH ; qu’eu égard à ces circonstances et au coût du bien, la société requérante est fondée à soutenir que la décision en litige est entachée d’une erreur d’appréciation de l’intérêt général du projet. »

    Une telle hypothèse, assez atypique, de préemption de logements sociaux acquis par un autre bailleur social présente l’avantage du réalisme : l’intérêt général ne repose pas seulement sur le projet du titulaire du droit de préemption. Il repose sur une appréciation globale du projet qui inclut aussi le projet porté par l’acquéreur. La difficulté est cependant que rien n’impose juridiquement à l’acquéreur de tenir ses engagements. Il est vrai que c’est aussi le cas du titulaire du droit de préemption… 

    Benoît Jorion