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Les objectifs de la préemption - Page 4

  • Une préemption peut poursuivre le même objectif que l’acquéreur évincé

    Conseil d’Etat, 3 décembre 2007, Commune de Saint-Bon Tarentaise, req. n° 306949, à paraître aux tables

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    Extrait : « Considérant que, pour suspendre, à la demande des sociétés Pierre et Vacances Promotion Immobilière et Courchevel 1650 Loisirs, acquéreurs évincés, les décisions du 23 avril 2007 par lesquelles le maire de la COMMUNE DE SAINT-BON TARENTAISE a exercé le droit de préemption de la commune sur trois biens faisant partie d'un même ensemble immobilier, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a estimé comme de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces décisions les moyens tirés de ce qu'elles ne permettaient pas de poursuivre les objectifs visés aux articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme dès lors, d'une part, que la société Pierre et Vacances Promotion Immobilière a acquis les fonds de commerce alors que la commune ne sera, au terme de la procédure de préemption, que propriétaire des murs, et, d'autre part, que l'activité touristique de cette société est conforme à l'objectif poursuivi par la commune ;

    (…)

    Considérant, en second lieu, que la circonstance que l'acquéreur évincé exercerait une activité conforme à l'objectif poursuivi par la décision de préemption est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; que, par suite, en prenant en compte l'activité touristique de la société Pierre et Vacances Promotion Immobilière pour apprécier la légalité des décisions de préemption, le juge des référés a commis une autre erreur de droit ;
    »

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    Commentaire : La commune de Saint-Bon Tarentaise a préempté plusieurs biens immobiliers que la société Pierre et Vacances souhaitait acheter. Le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble a suspendu cette décision en étant notamment sensible au fait que l'activité touristique de cette société était conforme à l'objectif poursuivi par la commune. La commune avait vraisemblablement invoqué les dispositions de l’article L. 300-1 qui permettent de préempter pour « favoriser le développement des loisirs et du tourisme ».

    Avec l’arrêt commenté le Conseil d’Etat casse cette ordonnance en posant que « la circonstance que l'acquéreur évincé exercerait une activité conforme à l'objectif poursuivi par la décision de préemption est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ».

    Une telle solution est loin d’être totalement surprenante. La prérogative de préemption est conférée pour poursuivre certains objectifs qui doivent être mentionnés dans la décision de préemption. En revanche, les objectifs de l’acquéreur ne sont pas toujours connus. Il n’a d’ailleurs ni à les exprimer ni à les respecter s’il les exprime. Il est donc délicat de comparer les objectifs poursuivis par chacun pour rechercher qui pourrait le mieux les remplir.

    Toutefois, il aurait pu être soutenu, par analogie avec la création des services publics, que la préemption n’était possible que si le libre jeu du marché n’aboutissait pas à la réalisation de l’objectif poursuivi.

    En réalité, le droit de préemption, tout au moins celui visé par les articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme, est conféré en vue de la réalisation d’un certain nombre d’actions ou d’opérations. Ce qui importe donc, c’est que l’objectif poursuivi soit légal. Les objectifs poursuivis par l’acheteur, en revanche, sont indifférents. Une collectivité locale peut donc poursuivre exactement le même objectif que l’acquéreur évincé.

    Aussi, de même que le titulaire du droit de préemption ne pourra invoquer l’objectif de l’acheteur pour justifier sa décision de préemption, l’acheteur ne pourra, à l’appui de son recours, invoquer le fait qu’il poursuivait le même objectif que le titulaire du droit de préemption.


    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris,
    Spécialiste en droit public

  • Du danger d'invoquer plusieurs objectifs en matière de préemption

    Cour administrative d’appel de Paris, 18 octobre 2007, Ville de Paris, req n° 06PA02094

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    Extrait : « Considérant, d'une part, que si le maire de Paris pouvait légalement, sur le fondement du troisième alinéa de l'article L. 210-1 précité du code de l'urbanisme, motiver sa décision de préempter les terrains en vue de la construction de logements sociaux, en se référant à la délibération du Conseil de Paris en date des 20 et 21 octobre 2003 arrêtant le programme local d'habitat, lequel prévoit expressément l'exercice du droit de préemption pour la construction de logements sociaux dans le quatorzième arrondissement, cette seule référence ne saurait tenir lieu de motivation de ladite décision en tant qu'elle était relative à un équipement de proximité, dont il ne ressort d'aucune des pièces du dossier qu'il se rattacherait à une opération de logement social ; qu'ainsi cette décision qui ne précise pas la nature du projet d'équipement public en vue duquel est exercé le droit de préemption urbain, ne satisfait pas aux exigences de motivation découlant de l'article L. 210-1 précité du code de l'urbanisme ;

    Considérant, d'autre part, que le rapport de la direction du logement et de l'habitat de janvier 2005 se borne à indiquer que les terrains susceptibles d'être préemptés pourraient permettre, outre la construction de dix-sept logements sociaux, la réalisation d'un ou plusieurs équipements de proximité, sans en préciser la consistance et la destination ; qu'ainsi la VILLE DE PARIS, par ce seul document qu'elle produit, ne peut être regardée comme ayant conçu, à la date de la décision de préemption, un projet précis d'équipement public ; que la décision de préemption en date du 10 février 2005 est donc entachée d'illégalité sur ce point ; que compte tenu de la superficie importante affectée à ce projet d'équipement et de ce qu'il ne serait pas implanté sur une parcelle pouvant être dissociée de celles servant d'assiette au projet de logements sociaux, cette illégalité est de nature à entraîner l'annulation de la décision attaquée, qui ne présente pas un caractère divisible
    ».

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    Commentaire : l’excès de motivation peut nuire ! On sait qu’une décision de préemption doit être motivée et que le juge administratif exerce un contrôle rigoureux sur une telle motivation. Aussi un certain nombre de titulaires du droit de préemption sont tentés de multiplier les projets dans leur décision de préemption, estimant sans doute qu'en cas de recours l’un au moins sera admis. Pour autant, la motivation doit correspondre à un motif réel, c’est-à-dire à un projet existant.

    C’est ainsi que la Ville de Paris a décidé de préempter un immeuble « en vue de réaliser un programme de dix-sept logements sociaux et un équipement public de proximité ». La réalisation de logements sociaux était justifiée par la référence à la délibération arrêtant le programme local de l'habitat, lequel prévoyait l'exercice du droit de préemption pour la construction de tels logements dans l’arrondissement concerné. Ce motif a été admis par la Cour.

    En revanche, la Ville de Paris a été incapable de préciser la consistance et la destination de l’équipement public, qui ne se rattachait pas à la réalisation des logements sociaux. La motivation a donc été regardée comme insuffisante sur ce point par la Cour administrative d’appel de Paris.

    Restait alors à décider de l’impact de cette illégalité partielle sur la légalité globale de la décision de préemption. La Cour a relevé que l’équipement public occupait une superficie importante, sans pour autant d'ailleurs indiquer sa proportion. Elle a aussi relevé le caractère indissociable du terrain d’assiette de l’équipement par rapport au reste du projet. En conséquence, la Cour a estimé que la décision de préemption était indivisible et qu’elle devait être annulée dans son ensemble.

    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris,
    Spécialiste en droit public

  • Le contrôle des objectifs d'une préemption

    Cour administrative d’appel de Paris, 4 octobre 2007, Commune du Plessis-Trévise, req. n° 04PA01745

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    Extrait : « Considérant qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : « Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé... » ; qu'aux termes de l'article L. 300-1 du même code : « Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre les restructurations urbaines, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels... » ; qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que les communes ne peuvent décider d'exercer le droit de préemption que si elles justifient de l'existence, à la date à laquelle elles exercent ce droit, d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement suffisamment précis et certain et, d'autre part, qu'elles doivent définir ce projet de manière précise dans la décision de préemption ;

    Considérant que l'arrêté attaqué est motivé, d'une part, par le souci de poursuivre la restructuration du parcellaire, entamée en 1998 sur le fondement d'une délibération de 1994 par l'acquisition d'une parcelle de 300 m² AM 692 jouxtant la parcelle préemptée, d'autre part, par la perspective, dans une zone classée en UFa par le plan d'occupation des sols, d'accueillir des activités économiques, enfin par la nécessité pour la collectivité publique d'assurer la dépollution du site en raison de la présence notamment d'amiante et de cuves à dégazer en sous-sol ; que le premier motif, qui ne figure pas parmi les opérations d'aménagement mentionnées à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, ne peut constituer à lui seul, eu égard à l'absence de toute précision sur les objectifs poursuivis et au faible degré d'avancement d'un projet envisagé 7 ans auparavant, une opération de restructuration urbaine au sens des dispositions législatives précitées ; que le deuxième motif ne se rattache à aucun objet précis mentionné dans la décision litigieuse ; qu'enfin la volonté de démolir un bâtiment vétuste isolé, même si elle s'accompagne de désamiantage et de suppression de cuves en sous-sol, ne peut être regardée comme une action ou une opération de lutte contre l'insalubrité au sens de l'article L. 300-1 précité ; qu'il s'ensuit que deux des motifs avancés ne sont pas nature à justifier une décision de préemption et qu'aucun projet précis n'est défini dans la décision en litige au soutien du seul motif se rattachant à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
    »

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    Commentaire : Une décision de préemption doit être justifiée par un projet précis. Ce projet doit correspondre à l’un de ceux énumérés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. Cet article est long. Il permet de nombreuses hypothèses de préemption. Mais il ne permet pas de préempter pour n’importe quelle raison.

    L’arrêt commenté vient rappeler qu’il est inutile de multiplier les motifs de préemption. Si aucun n’est satisfaisant, leur multiplication ne fera pas de la décision de préemption une décision légale.

    Une commune avait décidé de préempter en invoquant trois raisons : le souci de poursuivre la restructuration du parcellaire ; la démolition d’un bâtiment à fin de dépollution du site et la perspective d'accueillir des activités économiques.

    La Cour administrative d’appel de Paris considère que les deux premiers objectifs n’entrent pas dans les objectifs posés par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme : la restructuration du parcellaire n’est pas à elle seule une opération de restructuration urbaine et la volonté de démolir un bâtiment vétuste n’est pas une opération de lutte contre l'insalubrité.

    Quant au denier objectif, il est insuffisamment précis.

    La Cour en conclut de façon lapidaire que « deux des motifs avancés ne sont pas nature à justifier une décision de préemption et qu'aucun projet précis n'est défini dans la décision en litige au soutien du seul motif se rattachant à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ». En conséquence, elle confirme le jugement rendu en première instance qui avait annulé la décision de préemption. Cet arrêt illustre une nouvelle fois le caractère rigoureux du contrôle opéré par le juge administratif, à la fois sur la réalité des objectifs invoqués à l'appui de la décision de préemption, et sur la régularité des objectifs invoqués au regard de l'énumération limitative de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.

    Benoît JORION
    Avocat à la Cour d’appel de Paris
    Spécialiste en droit public

  • Préemption destinée au maintien des locataires : des précisions

    Tribunal administratif de Versailles 3 juillet 2007 Société Resireal c/ Commune de Clichy, req. n° 0610896

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    Extrait : « Considérant qu’il résulte des dispositions précitées des articles L. 210-l et L 210-2 du code de l’urbanisme, d’une part, que les communes ne peuvent décider d’exercer leur droit de préemption urbain dans le cadre de l’article L. 210-2 que si elles justifient, à la date à laquelle elles exercent ce droit, l’avoir exercé conformément aux termes et conditions fixés par l’article L. 210-l du code de l’urbanisme et, d’autre part, qu’elles doivent définir l’objet en vue duquel est exercé ce droit de manière précise dans la décision de préemption;

    Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que la décision du 27 septembre 2006 mentionne seulement que « le droit de préemption est exercé conformément aux objectifs qui ont présidé à l ‘institution du droit de préemption renforcé dans le cadre de la politique de I ‘habitat de la commune, notamment afin de préserver les droits des locataires et garantir leur maintien dans les lieux à l’occasion de la vente d’immeuble par lots »; qu’une telle mention, qui se borne à reprendre les termes de l’article L. 210.2 du code de l’urbanisme et à indiquer que le droit de préemption est exercé conformément aux objectifs fixés par une délibération du 29 novembre 2005, laquelle, outre qu’elle n’est pas annexée à la décision attaquée, expose en des termes très généraux les axes d’intervention de la commune en matière d’aménagement, n’est assortie d’aucune précision quant aux conditions d’occupation des biens préemptés, au nombre de locataires concernés et à leur situation en cas de cession desdits biens à l’acquéreur indiqué dans la déclaration d’intention d’aliéner ; qu’ainsi, la décision ne répond pas à l’exigence, qui découle de l’article L 210-l du code de l’urbanisme, de description précise de l’objet en vue duquel est exercé le droit de préemption urbain ;

    Considérant, en deuxième lieu, qu’un seul locataire est concerné par la cession litigieuse, laquelle porte sur des locaux en partie vacants, qui ne constituent qu’une partie résiduelle d’un immeuble détenu en copropriété ; que la commune n’établit par ailleurs pas que ledit locataire ne pourra se maintenir dans les lieux pour le cas où les biens considérés serait cédés à l’acquéreur indiqué dans la déclaration d’intention d’aliéner ; que, par suite, la commune ne justifie pas avoir exercé son droit de préemption, conformément aux termes et conditions fixés par l’article L. 210-2 du code de l’urbanisme.
    »

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    Commentaire : Ce jugement constitue l’une des toutes premières décisions rendue par une juridiction administrative du fond et relative à une décision de préemption destinée à permettre le maintien de locataires dans les lieux.

    Cette possibilité de préemption, issue de la loi Aurillac du 13 juin 2006 et codifiée à l’article L. 210-2 du code de l’urbanisme, pose un certain nombre de difficultés d’applications et permet potentiellement beaucoup d’abus (Cf. ma note du 29 juin).

    On ne peut donc que se féliciter de ce jugement rendu par le Tribunal administratif de Versailles qui rattache cette nouvelle hypothèse de préemption au droit commun de la matière et impose, à la fois, une motivation précise et un objet bien défini.

    Ainsi, en matière de motivation, ce jugement estime, à bon droit, que la reprise par la décision de préemption des termes de la loi assortie d’un exposé très général ne suffit pas.

    De même, en ce qui concerne l’objet de la décision, le jugement relève que seul un locataire était concerné, qu’il n’est pas établi qu’il ne pourrait se maintenir dans les lieux du fait de l’acquisition prévue et que l’immeuble était déjà en copropriété. Ainsi, même si le jugement ne le dit pas expressément, il semble bien que ce nouveau droit de préemption se doit d’être lu à la lumière de la loi du 13 juin 2006, qui n’a vocation à s’appliquer que dans des hypothèses limitées.

    Pour ces différentes raisons, la décision de préemption du maire de Clichy a été annulée par le Tribunal administratif de Versailles.




    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris,
    Spécialiste en droit public

  • Empêcher l'acquisition par des témoins de Jéhovah

    Tribunal administratif de Bordeaux, 12 avril 2007 Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Agen, req. n° 0503070

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    Extrait : «Considérant, en second lieu, qu’il ressort également des pièces du dossier qu’en décidant par la décision attaquée, d’exercer son droit de préemption sur l’immeuble mis en vente par Madame T., le maire d’Agen a agi dans le seul but de faire obstacle à la cession à l’Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Agen de ce bien immobilier, et que ce motif tiré de considérations étrangères à un but d’intérêt général ne pouvait légalement fonder la décision de préemption critiquée. »

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    Commentaire : Le Tribunal administratif de Bordeaux vient d’annuler une décision de préemption du maire d’Agen destinée à empêcher l’acquisition d’un bien par une association de témoins de Jéhovah.

    Un tel jugement appelle trois remarques.

    D’abord, il est bien évidemment illégal d’utiliser un droit de préemption pour tenter d’empêcher l’installation d’un lieu cultuel, ou d’une communauté religieuse, qu’il s’agisse d’un culte traditionnel ou d’un culte d’implantation plus récente. Toutefois si les principes républicains de liberté des cultes et d’égalité permettent de soutenir une telle affirmation, ces principes n’étaient guère opérants pour obtenir l’annulation de la décision attaquée. Même si le principe de non discrimination est à la mode, il est loin de constituer la panacée sur le terrain juridique.

    Ensuite, il est intéressant de remarquer que le Tribunal, de façon superfétatoire, a considéré que les faits étaient établis, c'est-à-dire que le but de la décision de préemption était bien d’empêcher l’implantation des témoins de Jéhovah. Il est fréquent que le but réel d’une décision de préemption, notamment dans des affaires de ce type, ne soit pas celui officiellement invoqué. Le but réel y est dissimulé, comme d’ailleurs en l’espèce, derrière d’autres raisons. Il est toujours difficile de démontrer le but réel. Pourtant, ici, le Tribunal estime que « le seul but » de la décision était bien de faire obstacle à l’acquisition par le témoins de Jéhovah. Il indique aussi que ce motif était « tiré de considérations étrangères à un but d’intérêt général ». Il s’agit donc, même si le terme n’est pas utilisé, d’un détournement de pouvoir, de surcroît de la pire espèce, celui pour lequel il n’existe aucun but d’intérêt public. Les habitués du droit administratif pourront apprécier ce que cela peut avoir d’infamant…

    Enfin, au-delà du cas d’espèce, cet arrêt permet aussi de rappeler qu’une décision de préemption ne peut avoir pour but de s’opposer au projet de l’acquéreur, ou même tout simplement à sa personne. Son nom ne figure d’ailleurs pas obligatoirement dans la déclaration d’intention d’aliéner. D’après l’article L. 210-2 du code de l’urbanisme les droits de préemption sont exercés en vue de la réalisation d’actions ou d’opérations. L’énumération à laquelle procède cet article est longue. Mais il doit toujours s’agir d’une action ou d’une opération. Or, empêcher une acquisition par un acquéreur déterminé ne peut être qualifié d’action ou d’opération (Cf. CE 1er février 1993 Guillec, rec. p. 22 à propos d’une préemption destinée à empêcher la cession d’un bien à des personnes étrangères à la commune).

    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris,
    Spécialiste en droit public