préemption

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Les recours en matière de préemption

  • Méthode d’évaluation du bien préempté par le juge de l’expropriation

    (Civ. 3me, 6 septembre 2018, EPF de l’Ain, pourv. n° 15-13490).

    Ni le code de l’urbanisme, ni le code de l’expropriation auquel il renvoie, ne fixe de méthode pour évaluer un bien préempté. La méthode d’évaluation par comparaison est la plus souvent pratiquée, tandis que la méthode d’évaluation par la récupération foncière ou méthode promoteur peut être plus intéressante pour le vendeur d’un terrain à bâtir.

    Dans le cas d’espèce, le titulaire du droit de préemption reproche paradoxalement à la cour d’appel d’avoir écarté la méthode par comparaison au bénéfice de la méthode par comparaison, tout en ayant pris en compte de façon contradictoire des références de biens destinés à être démolis et rebâtis et en ayant ajouté une indemnité pour les droits à construire.

    La Cour de cassation rejette le pourvoi en rappelant le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond sur la méthode d’évaluation à retenir et sur les références à retenir : « Mais attendu qu'ayant, après avoir écarté la méthode d'évaluation par la récupération foncière en constatant que les bâtiments qui recouvraient la quasi-totalité de la surface de la parcelle n'étaient ni insalubres, ni dénués de valeur, souverainement choisi la méthode par comparaison en prenant en considération, parmi les éléments proposés par les parties, les cessions portant sur des immeubles bâtis à usage mixte destinés à être démolis puis reconstruits, qui lui sont apparues les mieux appropriées, et relevé que les frais de dépollution devaient être supportés par le dernier exploitant, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision en fixant souverainement, sans se contredire, la valeur de la parcelle en tenant compte de sa situation privilégiée et de son fort potentiel de constructibilité ».

    Benoît Jorion

  • Droit de l’intermédiaire à sa commission en cas de préemption

     

    (CA Paris, 15 juin 2018, SARL Darmon Immobilier, RG 16/212387).

    Le droit de l’intermédiaire, en cas de décision de préemption, à percevoir sa commission est régulièrement contesté, même si la jurisprudence estime de façon constante qu’elle est due (Civ. 1ere, 24 janvier 2006, Société Atlantimmo, pourv. n° 02-18746 ; Civ. 3eme, 14 décembre 2017, EPFL du pays basque, pourv. n° 16-20150, publié au bulletin) (Cf. cette chronique, Administrer 2018, n° 521, p. 24).

    Ce droit vient d’être rappelé dans une hypothèse ou, après avoir été préempté, le vendeur, sans attendre la décision du juge de l’expropriation, a conclu un accord transactionnel avec le titulaire du droit de préemption. Face à ce dernier qui refusait de verser la commission contractuellement due par l’acquéreur, il a été posé que « la négociation étant intervenue dans le cadre de procédure engagée devant le juge de l'expropriation, la commune de Pantin ne peut soutenir que cette négociation serait autonome par rapport à l'exercice de son droit de préemption, alors que ni la commune ni la SARL Darmon Immobilier n'ont, dans ce cadre, renoncé à exercer leurs droits, la commune, celui de préempter, M. A..., celui de faire arbitrer le prix par le juge de l'expropriation en cas d'échec de sa proposition sur le prix; le désistement d'instance intervenu à la suite de l'acceptation par la ville de Pantin de la proposition de M. A... ne peut donc s'analyser comme une renonciation de la commune à l'exercice de son droit de préemption ». Aucune faute de l’intermédiaire n’étant prouvée, il a droit de percevoir l’intégralité des honoraires fixés.

    Benoît Jorion

  • Prise en compte du prix de la préemption pour apprécier la légalité de cette dernière

    (TA Nantes, 21 février 2017, Association immobilière de Saint-François-Xavier, req. n° 1405970).

    Un tribunal administratif avait accepté, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, de tenir compte du prix d’une préemption (TA Montreuil, 10 février 2012, req. n° 1200486) avant d’être censuré par le Conseil d’Etat (CE, 7 janvier 2013, commune de Montreuil, req. n° 357230, mentionné aux tables). Un tel contrôle sur le prix de la préemption présente l’intérêt d’éviter l’abus qui consiste, pour le titulaire du droit de préemption, à fixer un prix abusivement bas, dans le but réel d’empêcher la vente. L’inconvénient tient au risque d’empiètement sur la compétence du juge de l’expropriation.

    Le cas d’espèce porte sur une préemption en espace naturel sensible, ce qui n’a pas pour effet de limiter la portée de la décision commentée. Pour le tribunal administratif de Nantes : « le caractère insuffisant ou excessif du prix proposé par le titulaire du droit de préemption de ce bien au regard du marché est, par lui-même, en principe, sans incidence sur la légalité de la préemption ; qu’il ressort toutefois des pièces du dossier que le service France Domaine, consulté par le département de la Loire-Atlantique, a estimé, aux termes de son avis du 16 avril 2014, antérieur aux décisions de préemption, que le prix global de 2 500 000 euros, correspondant à l’ensemble des parcelles, n’appelait pas d’observations particulières ; que le juge de l’expropriation a par ailleurs intégralement confirmé ces évaluations par deux jugements du 19 mars 2015 ; que le département de la Loire-Atlantique a fixé son prix d’acquisition au montant global de 24 108,70 euros, soit 0,96 % du prix de vente évalué par le juge de l’expropriation et le service des domaines ; qu’ainsi, eu égard à cette disproportion, le département de la Loire-Atlantique ne peut être regardé comme ayant eu réellement l’intention d’acquérir cet ensemble immobilier pour mettre en œuvre la politique prévue à l’article L. 142-1 du code de l’urbanisme ».

    Ce jugement présente l’intérêt de montrer la difficulté pour le juge administratif de ne pas contrôler le prix, prix qui constitue pour le vendeur l’élément déterminant de la décision de préemption, surtout lorsque, comme en l’espèce, il apparait aussi manifestement entaché d’erreur d’appréciation, voire de détournement de pouvoir.

    Benoît Jorion

  • Acte instituant le droit de préemption urbain. Invocabilité à l’appui d’un recours contre une décision de préemption

    (CE, 10 mai 2017, société ABH Investissements, req. n° 398736, mentionné aux tables)

    Le droit de préemption urbain doit d’abord être institué dans une commune pour pouvoir ensuite être exercé à l’occasion de l’aliénation d’un bien. La qualification à donner à la délibération instituant le droit de préemption était débattue en jurisprudence. L’enjeu tenait en la possibilité d’invoquer ou non l’illégalité de cette délibération initiale à l’appui d’un recours contre une décision de préemption.

    Le Conseil d’Etat précise que l’acte instituant le droit de préemption « ne revêt pas un caractère règlementaire », excluant ainsi la possibilité d’invoquer une exception d’illégalité à son encontre. Il écarte aussi la théorie des opérations complexes.

    Pour autant, le Conseil d’Etat affirme que « l’illégalité de l’acte instituant un droit de préemption urbain peut être utilement invoqué par voie d’exception à l’appui des conclusions dirigées contre une décision de préemption », à la condition qu’il n’ait pas acquis un caractère définitif. Cette illégalité ne peut donc être invoquée que si cet acte initial n’avait pas été « régulièrement publié dans les conditions prévues par les articles R. 211-2 et R. 211-4 du code de l’urbanisme ». 

    Benoît Jorion

  • Qui peut contester en justice une décision de préemption ?

    Conseil d’Etat, 7 juin 2009 Association La fourmi vouvrillonne, req. n° 319238, à paraître aux tables.

     

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    Extraits : « Considérant, en premier lieu, que la circonstance que les statuts de l'ASSOCIATION LA FOURMI VOUVRILLONNE ont été déposés postérieurement à la décision de préemption litigieuse est sans incidence sur la recevabilité de la demande d'annulation, les dispositions de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme ne s'appliquant qu'aux décisions relatives à l'occupation ou l'utilisation des sols ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces statuts précisent que l'association a notamment pour objet de surveiller l'utilisation par les collectivités et leurs représentants des deniers publics afin de défendre les intérêts collectifs ou individuels des concitoyens des communes du Vouvrillon en luttant (...) contre tout gaspillage ou engagement financier que les concitoyens vouvrillons jugeraient inutiles, inappropriés, exagérés (...) ; que la délibération par laquelle la communauté de communes du Vouvrillon a décidé d'exercer son droit de préemption en vue d'acquérir l'immeuble en cause, pour un coût de 550 000 euros, engage les finances de cette collectivité et, par suite, est de nature à porter atteinte aux intérêts que cette association entend défendre ; qu'ainsi, en jugeant que l'association n'avait pas intérêt à agir à l'encontre de cette délibération dès lors qu'elle n'était ni propriétaire, ni locataire ni acquéreur évincé du bien objet de la préemption, alors même qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier l'intérêt à agir d'une association en fonction de son objet statutaire, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit ;


    Considérant, en second lieu, que l'intérêt à agir contre une décision de préemption ne se limite pas aux titulaires d'une promesse de vente, mais peut être reconnu à ceux qui bénéficient d'un droit suffisamment certain et direct sur le bien préempté ; qu'en jugeant que la circonstance que M. A se soit trouvé privé de la possibilité de racheter à M. C l'immeuble préempté ne suffisait pas à lui conférer un intérêt à agir contre la décision de préemption, alors que l'exercice de son droit de préférence par M. C et son engagement ferme de rétrocession à M. A faisaient de ce dernier l'acquéreur finalement évincé par la préemption, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce
    ; »

     

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    Commentaire : Voilà un arrêt qui apporte plusieurs précisions relatives à la procédure contentieuse en matière de droit de préemption. La première est relative aux recours des associations. La deuxième est relative à l’intérêt pour agir.

    D’abord, l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, voté pour rendre plus difficiles les recours des associations en matière d’urbanisme, pose que « Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. »

    En l’espèce, les statuts de l’association requérante n’avaient pas été déposés en préfecture avant qu’elle ne forme un recours contre une décision de préemption. La recevabilité de son recours était en conséquence contestée.

     

    Pour autant, une décision de préemption n’est pas une décision « relative à l'occupation ou l'utilisation des sols ». C’est ce qui avait déjà été jugé (CE 13 oct. 2003 Commune d’Altkirch) à propos de la règle posée par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme (dans sa rédaction antérieure au décret du 5 janvier 2007), imposant qu’un recours contre une décision « relative à l'occupation ou l'utilisation des sols » soit notifiée à l’auteur de la décision.

     

    Une telle solution est parfaitement logique puisqu’une décision de préemption, si elle s’accompagne normalement d’un projet qui est relatif à l’occupation ou à l’utilisation des sols, ne consiste, en elle-même, qu’à opérer un transfert de propriété et n’a donc pas d’incidence directe sur l’utilisation des sols.

     

    En l’espèce, la solution posée à propos de la notification des recours est transposée aux recours des associations contre les décisions de préemption. Les statuts d’une association qui veut contester une décision de préemption n’ont donc pas à être enregistrés en préfecture préalablement à son recours.

     

    Ensuite, le Conseil d’Etat apporte des précisions sur les titulaires d’un intérêt pour agir contre une décision de préemption devant le juge administratif. On sait que, pour qu’un justiciable puisse agir devant le juge administratif, il doit disposer d’un intérêt pour cela. Sinon, sa requête est irrecevable.

     

    En matière de décision de préemption, la plupart du temps, c’est soit l’acquéreur évincé, soit le vendeur, qui agit en justice. Mais d’autres peuvent le faire. C’est le deuxième intérêt de l’arrêt.

     

    D'une part, le Conseil d’Etat confirme ce qu’il avait déjà posé (CE 20 mars 1991 Roucaute) à propos du titulaire d’un droit de préférence : il a intérêt pour agir devant le juge administratif. Mais le Conseil d’Etat au regard des circonstances d’espèce va même plus loin. Ici, le propriétaire d’un bien (B) avait accordé un droit de préférence à C., lequel avait promis de le vendre à A. Lorsque B. a vendu son bien à un tiers, C. a exercé son droit de préférence, et c’est A. qui est allé en justice contre la décision de préemption.

     

    Le droit de A. à acquérir était donc indirect, puisqu’il n’était ni l’acquéreur évincé, ni même le titulaire du droit de préférence.

     

    Mais, selon une formule qui pourrait s’appliquer dans d’autres circonstances, le Conseil d’Etat pose que l’intérêt pour agir « peut être reconnu à ceux qui bénéficient d'un droit suffisamment certain et direct sur le bien préempté ». C’est le cas en l’espèce.

     

    Le simple bénéficiaire d’une promesse de vente, faite par un titulaire de droit de préférence, a donc un intérêt pour agir.

     

    D’autre part, le Conseil d’Etat reconnaît aussi intérêt pour agir à une association locale, dont l’objet était, notamment,  « de surveiller l'utilisation (…) des deniers publics (…) en luttant (...) contre tout gaspillage ou engagement financier (…) inutiles, inappropriés, exagérés (...) ». Une décision de préemption prise par une communauté de communes, qui a forcément un coût pour elle, et donc une incidence sur son budget, peut en conséquence être contestée par une telle association.

     

    Ce faisant, le Conseil d’Etat rejoint une jurisprudence très classique sur l’intérêt pour agir des contribuables locaux (CE 29 mars 2001 Casanova), y compris des contribuables d’une intercommunalité (CAA Bordeaux 18 décembre 2007 Commune de Canejan). Il confirme également, ce qui n’avait été admis que par une juridiction du fond (CAA Nancy 1er oct. 1998 Commune de Jeumont), l’intérêt pour agir d’une association contre une décision de préemption, à condition bien entendu que son objet social s’y prête.

     

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public