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Les recours en matière de préemption - Page 2

  • Le délai de recours pour l'acquéreur évincé

    Conseil d’Etat, 1er juillet 2009 Société Holding JLP c/ Commune de Saint-Martin d’Hyères, req n°312260, à paraître aux tables

     

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    Extraits : « Considérant que, pour infirmer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 juillet 2006 et déclarer tardive et, par suite, irrecevable la demande de la S.A. HOLDING JLP tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 11 octobre 1999 par lequel le maire de Saint-Martin d'Hères avait exercé le droit de préemption de la commune sur des terrains mis en vente par la société Dépôt pétrolier du Grésivaudan à son profit, la cour administrative d'appel de Lyon s'est fondée, d'une part, sur ce que la société requérante avait adressé à la commune, plus de deux mois avant l'introduction de sa demande d'annulation, une demande de rétrocession des terrains préemptés comportant en annexe une copie de l'arrêté du 11 octobre 1999, qui mentionnait d'ailleurs les voies et délais de recours et, d'autre part, sur ce que cet arrêté avait fait l'objet d'un affichage en mairie et d'une mention au registre des déclarations d'intention d'aliéner de la commune ;

    Considérant que le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de préemption ne court en principe, à l'égard de l'acquéreur évincé par cette décision, qu'à compter de sa notification à ce dernier avec indication des voies et délais de recours ; qu'en ne relevant qu'à titre surabondant que la décision litigieuse comportait une telle indication et en se fondant sur les mesures de publicité dont celle-ci avait fait l'objet, la cour administrative d'appel a donc entaché son arrêt d'erreurs de droit ;

    Mais considérant qu'il est constant que, par un courrier du 6 janvier 2005, reçu par la commune de Saint-Martin d'Hères le 11 janvier suivant, la SOCIETE HOLDING JLP a sollicité, sur le fondement de l'article L. 213-11 du code de l'urbanisme, la rétrocession des terrains préemptés, en joignant à cette lettre une copie intégrale de la décision de préemption du 11 octobre 1999 telle qu'elle avait été notifiée au mandataire du vendeur, avec l'indication selon laquelle elle était susceptible de recours devant le tribunal administratif de Grenoble dans le délai de deux mois à compter de sa réception ; que la société requérante doit ainsi être réputée avoir eu connaissance de cette décision et des voies et délais de recours, dans des conditions et garanties équivalentes à la notification prévue à l'article R. 421-5 du code de justice administrative, au plus tard le 11 janvier 2005 ; que, par suite, le délai de recours contentieux contre cette décision a commencé à courir, à l'égard de la SOCIETE HOLDING JLP, acquéreur évincé, au plus tard à cette date ; que sa demande d'annulation, enregistrée le 17 mai 2005 au greffe du tribunal administratif de Grenoble, était donc tardive et, par suite, irrecevable ; que ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait nouvelle, doit être substitué à ceux retenus par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif ; »

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    Commentaire : Le vendeur d’un bien doit être informé, dans les deux suivant le dépôt de la déclaration d’intention d’aliéner, de la décision de préemption.

    Pour que le délai de recours soit déclenché, il convient, conformément à l’article R. 421-5 du code de justice administrative, que les délais et les voies de recours soient mentionnés dans la notification de la décision. C’est donc sans surprise qu’il a été jugé que faute d’indication des voies de recours dans la notification de la décision de préemption, la forclusion après deux mois n’était pas opposable (TA Amiens, 13 avril 2006, Maistrelli et a. : AJDA 2006, p. 1575).

    En ce qui concerne l’acquéreur évincé, il n’est pas rare qu’il ne se voit pas notifier la décision de préemption. Il est cependant nécessairement informé, par le vendeur ou par le notaire, de l’existence d’une décision sur un bien qu’il s’apprêtait à acquérir. Toutefois, faute de notification, le délai de recours ne commence pas à courir à son égard. Aussi, dans certains cas, l’acquéreur évincé a pu légalement saisir le juge administratif pour obtenir l’annulation d’une décision de préemption très longtemps après son adoption (par exemple CE Sect. 19 décembre 2008 Pereira dos Santos Maia, req. n° 293853, à paraître au recueil).

    L’arrêt Société Holding JLP apporte trois précisions relatives au déclenchement des délais de recours.

    D’abord, l’affichage de la décision de préemption - qui est une décision individuelle - ne déclenche le délai de recours, ni pour le vendeur, ni pour l’acquéreur. Qu’il y ait eu ou non affichage d’une décision de préemption est donc indifférent pour eux. Il n’en irait sans doute pas de même vis-à-vis de tiers ayant intérêt à contester une telle décision (un contribuable par exemple).

    Ensuite, et c’est une confirmation, c’est bien l’indication des voies et délais de recours, et non la seule notification, qui fait courir le délai de saisine du juge administratif.

    Enfin, l’arrêt apporte une intéressante précision sur ce que l’on pourrait qualifier de connaissance acquise en matière de décision de préemption.

    Sans vouloir entrer dans le détail d’une théorie complexe, le juge administratif estime que, par application de cette théorie et dans certains cas, un recours administratif formé auprès de l’administration, tel qu’un recours gracieux, révèle que son auteur a eu connaissance de la décision, ce qui fait courir à son égard les délais de recours contentieux. Encore faut-il, et c’est ce qui peut être déduit de la jurisprudence Mauline rendue à propos du destinataire de la décision (CE Sect. 13 mars 1998 Mme Mauline et APHP, rec. p. 80), que les voies et délais de recours aient été indiqués.

    Dans le cas d’espèce, l’acquéreur évincé, qui n’avait pas reçu notification de la décision de préemption prise en 1999, a demandé à la mairie de Saint-Martin d'Hyères le 11 janvier 2005 la rétrocession du bien préempté. Il a commis l’imprudence d’y joindre copie de cette décision, telle qu'elle avait été notifiée au mandataire du vendeur. Or, sur cette décision, figurait l’indication des voies et délais de recours. En conséquence, pour le Conseil d’Etat « la société requérante doit être réputée avoir eu connaissance de cette décision et des voies et délais de recours (…) au plus tard le 11 janvier 2005 ».

    En conséquence, il ne pouvait plus le 17 mai 2005, plus de deux mois après le 11 janvier, légalement saisir le Tribunal administratif d’une requête en annulation de la décision de préemption.

    On savait que les recours gracieux donnaient rarement satisfaction à leurs auteurs. On sait maintenant qu’en plus, ils peuvent leur fermer les portes du recours contentieux. Le Conseil d’Etat, avec cet arrêt fait une application souple, mais réaliste, de la théorie de la connaissance acquise et de la connaissance des voies et délais de recours pour les requérants qui ne sont pas les destinataires de la décision attaquée. Une telle solution a vocation à s’appliquer au-delà du contentieux des seules décisions de préemption.

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

     

  • Un vendeur peut toujours agir contre une préemption

    Conseil d’Etat, 21 mai 2008 Commune de Houilles, req. n° 296156, à paraître aux tables

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    Extraits : « Considérant, d'une part, que toute décision de préemption d'un bien apporte une limitation au droit de propriété du vendeur et affecte à ce titre les intérêts de celui-ci qui a, dès lors, intérêt à en demander l'annulation pour excès de pouvoir ; que cet intérêt existe aussi bien lorsque le prix fixé par le juge de l'expropriation est inférieur à celui figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner que dans le cas où la préemption s'est faite à ce dernier prix ; que la circonstance que le transfert de propriété a eu lieu à la date à laquelle le vendeur introduit un recours pour excès de pouvoir contre la décision ne fait pas disparaître l'atteinte portée à ses intérêts et est, dès lors, sans effet sur son intérêt à agir ; que, par suite, en jugeant, par un arrêt qui est suffisamment motivé, que les consorts C avaient intérêt à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 22 août 2000 par laquelle la COMMUNE DE HOUILLES avait exercé son droit de préemption sur un terrain leur appartenant, alors même qu'à la date à laquelle ils ont introduit la demande de première instance, le transfert de propriété était déjà intervenu au profit de la commune, la cour administrative d'appel de Versailles n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce ; »

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    Commentaire : Cet arrêt Commune de Houilles vient confirmer que le vendeur d’un bien préempté a toujours intérêt à agir devant le juge administratif pour contester une décision de préemption. Cet intérêt est justifié par la « limitation au droit de propriété du vendeur » que cause la décision de préemption.

    Le vendeur peut, bien entendu, demander l'annulation de la décision de préemption si elle s’est faite à un prix inférieur à celui conclu avec le vendeur, prix qui figure dans la déclaration d’intention d’aliéner (DIA).

    Mais il peut aussi le faire, et l’arrêt le confirme de façon d’autant plus éclatante que la question ne se posait pas en l’espèce, lorsque la préemption s’est faite au prix figurant dans la DIA. Deux raisons le justifient. D’abord, l’identité de l’acheteur peut être pour le propriétaire un des éléments déterminant de la vente (parent, voisin, ami, relation d’affaire…). Ensuite, la préemption a pour effet automatique de retarder pour le propriétaire la perception du prix de la vente (jusqu’à six mois d’après l’article L. 213-14 du code de l’expropriation).

    Le deuxième intérêt de l’arrêt Commune de Houilles est de réaffirmer que cet intérêt pour agir ne disparait pas avec le transfert de propriété. On sait que juridiquement la décision de préemption au prix de la DIA a pour effet immédiat de transférer la propriété du bien, dont propriété et possession sont dès lors dissociées.

    Il pouvait donc être soutenu que l’ancien propriétaire ne disposait plus de la possibilité de contester une décision portant sur son bien. Mais une telle position eut été parfaitement abusive, en privant le vendeur de toute possibilité de recours en justice. Le juge administratif sait faire preuve de réalisme. Il admet ainsi le recours d’une association contre le décret qui l’a dissoute, alors même que, juridiquement, cette association n’existe plus lorsqu’elle introduit son recours (CE Sect. 22 avril 1955 Association Rousky-Dom, rec. p. 202).

    Le cas d’espèce offre d’ailleurs une illustration du fait que, en l’absence de déclenchement du délai de recours contentieux, cet intérêt pour agir perdure, en dépit, à la fois, de l’intervention du juge judiciaire et du transfert du bien intervenu. Les vendeurs ont attendu plus de trois ans pour saisir le juge administratif, bien après que le juge de l’expropriation eut fixé de façon définitive le prix de leur bien. Leur recours était toujours recevable, faute de notification régulière de la décision de préemption. Ainsi, dans cette configuration particulière, le recours au juge administratif permet de rendre sans effet la décision insatisfaisante du juge de l’expropriation.

    Benoît JORION
    Avocat à la Cour d’appel de Paris
    Spécialiste en droit public

  • Préemption et discrimination devant le juge pénal

    Cour de cassation. Chambre criminelle, 17 juin 2008, pourvoi n° 07-81666 M. Gérard X

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    Extrait : « Vu les articles 111-4 et 432-7 du code pénal ;

    Attendu que, d'une part, la loi pénale est d'interprétation stricte ;

    Attendu que, d'autre part, la discrimination prévue par l'article 432-7 du code pénal suppose, dans le premier cas visé par ce texte, le refus du bénéfice d'un droit accordé par la loi ;

    Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que les époux Y..., qui avaient conclu un compromis de vente en vue de l'acquisition d'un bien immobilier situé à Charvieu-Chavagneux (Isère), ont porté plainte et se sont constitués parties civiles contre Gérard X..., maire de la commune, au motif que celui-ci avait fait obstacle à la réalisation de la vente en exerçant de façon abusive le droit de préemption lui ayant été délégué en application des dispositions de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales ; que Gérard X..., renvoyé devant le tribunal correctionnel sur le fondement du délit prévu par l'article 432-7 du code pénal, a été déclaré coupable de cette infraction par les premiers juges et condamné à des réparations civiles ;

    Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt énonce qu'en raison de la consonance du nom des acheteurs laissant supposer leur origine étrangère ou leur appartenance à l'islam, Gérard X..., en sa qualité de maire, a commis une discrimination en refusant aux parties civiles le droit d'acquérir la propriété d'un immeuble et de fixer librement le lieu de leur résidence ;

    Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'exercice d'un droit de préemption, fût-il abusif, ne saurait constituer le refus du bénéfice d'un droit accordé par la loi au sens de l'article 432-7 du code pénal, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

    D'où il suit que la cassation est encourue ; »


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    Commentaire : L’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation se rapporte à une affaire qui avait donné lieu à plusieurs articles dans la presse nationale. Un maire de l’Isère avait décidé de préempter un bien qu’un couple d’origine magrébine souhaitait acquérir. Il lui était reproché d’avoir pris cette décision précisément du fait de cette origine.

    Ce maire avait été condamné en première instance et en appel par la juridiction pénale pour s’être rendu coupable de discrimination, infraction réprimée par l’article 432-7 du code pénal.

    La Cour de cassation vient de casser l’arrêt rendu par la Cour d’appel au motif que « l'exercice d'un droit de préemption, fût-il abusif, ne saurait constituer le refus du bénéfice d'un droit accordé par la loi au sens de l'article 432-7 du code pénal », alors que « la discrimination prévue par l'article 432-7 du code pénal suppose le refus du bénéfice d'un droit accordé par la loi ».

    Ce faisant, la Cour de cassation donne une très intéressante illustration de l’interprétation stricte du droit pénal. Une préemption peut être illégale, car elle méconnaît le code de l’urbanisme. Elle peut être abusive, car, même si la distinction avec l’illégalité n’est pas toujours aisée, elle repose sur un objectif erroné. Elle n’en est pas pour autant discriminatoire. En effet, comme l’indique la Cour de cassation, l’exercice du droit de préemption n’est pas le refus d’un droit. Il n’y a en effet, ni droit à acquérir un bien déterminé, ni droit à ne pas faire l’objet d’une préemption.

    Cet arrêt illustre donc bien les limites, déjà signalées dans une précédente note (Cf. la note du 19 juillet 2007), de la notion, certes très médiatique, mais en réalité bien peu efficace, de discrimination. Une plainte pénale, contrairement à un recours devant le juge administratif, ne permet en effet pas à l’acquéreur évincé du fait d’une décision de préemption d’acquérir le bien. Cet arrêt montre qu’une telle plainte ne permet même pas de faire condamner pénalement son auteur.




    Benoît JORION
    Avocat à la Cour d’appel de Paris
    Spécialiste en droit public