préemption

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expropriation

  • Méthode d’évaluation du bien préempté par le juge de l’expropriation

    (Civ. 3me, 6 septembre 2018, EPF de l’Ain, pourv. n° 15-13490).

    Ni le code de l’urbanisme, ni le code de l’expropriation auquel il renvoie, ne fixe de méthode pour évaluer un bien préempté. La méthode d’évaluation par comparaison est la plus souvent pratiquée, tandis que la méthode d’évaluation par la récupération foncière ou méthode promoteur peut être plus intéressante pour le vendeur d’un terrain à bâtir.

    Dans le cas d’espèce, le titulaire du droit de préemption reproche paradoxalement à la cour d’appel d’avoir écarté la méthode par comparaison au bénéfice de la méthode par comparaison, tout en ayant pris en compte de façon contradictoire des références de biens destinés à être démolis et rebâtis et en ayant ajouté une indemnité pour les droits à construire.

    La Cour de cassation rejette le pourvoi en rappelant le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond sur la méthode d’évaluation à retenir et sur les références à retenir : « Mais attendu qu'ayant, après avoir écarté la méthode d'évaluation par la récupération foncière en constatant que les bâtiments qui recouvraient la quasi-totalité de la surface de la parcelle n'étaient ni insalubres, ni dénués de valeur, souverainement choisi la méthode par comparaison en prenant en considération, parmi les éléments proposés par les parties, les cessions portant sur des immeubles bâtis à usage mixte destinés à être démolis puis reconstruits, qui lui sont apparues les mieux appropriées, et relevé que les frais de dépollution devaient être supportés par le dernier exploitant, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision en fixant souverainement, sans se contredire, la valeur de la parcelle en tenant compte de sa situation privilégiée et de son fort potentiel de constructibilité ».

    Benoît Jorion

  • Cession gratuite de terrain et droit de propriété

    Conseil Constitutionnel, 22 septembre 2010, Société ESSO SAF, QPC n° 2010-33

     

     

     

    Conseil constitutionnel.jpgExtrait : « Considérant que le e du 2° de l'article L. 332-6-1 du code l'urbanisme permet aux communes d'imposer aux constructeurs, par une prescription incluse dans l'autorisation d'occupation du sol, la cession gratuite d'une partie de leur terrain ; qu'il attribue à la collectivité publique le plus large pouvoir d'appréciation sur l'application de cette disposition et ne définit pas les usages publics auxquels doivent être affectés les terrains ainsi cédés ; qu'aucune autre disposition législative n'institue les garanties permettant qu'il ne soit pas porté atteinte à l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ; qu'il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner les griefs invoqués par la requérante, le e du 2° de l'article L. 332-6-1 du code l'urbanisme doit être déclaré contraire à la Constitution »

     

    Commentaire : L’attention des lecteurs a déjà été attirée sur l’innovation majeure introduite dans le droit français depuis le 1er mars 2010 avec la possibilité de poser une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel.

    Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel a rendu récemment plusieurs décisions relatives aux contraintes pesant sur la propriété immobilière. Il a examiné les questions posées au regard de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

    Les lecteurs de ce blog intéressés par la problématique des rapports entre l’intérêt général et le droit de propriété ne peuvent qu’être intéressés. Il ne s’agit pas de préemption. Il ne s’agit pas toujours d’expropriation au sens strict. Mais il s’agit à chaque fois d’un mode d’acquisition contraint de la propriété immobilière privée.

    Dans deux décisions, le Conseil constitutionnel a estimé que cet article 17 de la Déclaration de 1789 n’était pas méconnu. Il l’a fait à propos des dispositions dérogatoires permettant d’exproprier à vil prix des immeubles insalubres ou frappé de péril (2010-26 QPC du 17 septembre 2010). Il l’a fait aussi à propos de dispositions permettant le transfert de propriété, sans indemnité, des voies privées ouvertes à la circulation publique (2010-43 QPC du 6 octobre 2010).

    En revanche, dans une décision du 22 septembre 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré le e du 2° de l'article L. 332-6-1 du code l'urbanisme contraire à la Constitution.

    Cet article du code de l’urbanisme qualifiait de contributions aux dépenses d'équipements publics « les cessions gratuites de terrains destinés à être affectés à certains usages publics qui, dans la limite de 10 % de la superficie du terrain auquel s'applique la demande, peuvent être exigées des bénéficiaires d'autorisations portant sur la création de nouveaux bâtiments ou de nouvelles surfaces construites ».

    Une telle cession gratuite pouvait représenter un coût extrêmement important pour l’opérateur économique et être exigée à l’occasion d’une autorisation permettant la création de nouveaux bâtiments ou de nouvelles surfaces. On imagine quels moyens de pression permettait une telle disposition.

    Le Conseil constitutionnel a déclaré cet alinéa contraire à la Constitution. En conséquence, il l’a abrogé à compter de sa décision. Une telle abrogation est invocable dans les litiges en cours. L’effet est donc absolu et immédiat.

    Il doit cependant être souligné que le Conseil constitutionnel ne condamne pas le principe de la cession gratuite lui-même, mais l’absence de garanties. Il adresse donc davantage un reproche au législateur d’avoir méconnu sa compétence, plutôt qu’il ne sanctionne une violation directe de l’article 17 de la Déclaration de 1789, article qui commence pourtant, faut-il le rappeler, par énoncer le caractère inviolable et sacré du droit de propriété.

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

     

     

  • Question prioritaire de constitutionnalité

    Conseil constitutionnel.jpgArticle 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. 

    Article 62, deuxième alinéa, de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. 

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    Commentaire : La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est entrée en vigueur le 1er mars 2010. Jusqu’à présent, les tribunaux devaient appliquer une loi, même contraire à la Constitution, sans pouvoir s’interroger sur sa conformité à cette dernière. La question prioritaire de constitutionnalité, issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le permet désormais.

    Les juridictions du fond, après renvoi au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation, pourront ainsi amener le Conseil constitutionnel, dans un délai de six mois, à déclarer une loi inconstitutionnelle et à l’abroger.

    C’est un nouveau droit ouvert aux justiciables qui était attendu depuis de très longues années. C'est aussi une disposition qui va permettre, enfin, que le respect de la Constitution ne soit pas laissé au seul bon vouloir des politiques qui, seuls jusqu'à présent, pouvaient saisir le Conseil constitutionnel.

    La garde à vue, la motivation des arrêts de Cour d’assises ou la législation sur les gens du voyage ont donné lieu aux premières questions posées.

    Pour sa part, dès le 1er mars, l’auteur de ce blog a posé devant le juge administratif une question prioritaire de constitutionnalité, dans une matière voisine du droit de préemption, qui est le droit d’expropriation en matière d’immeubles insalubres ou menaçant ruine.

    Alors que l’expropriation est encadrée en droit français par une procédure très stricte et volontairement protectrice, de façon dérogatoire, une loi du 10 juillet 1970 permet d’exproprier sur décision du préfet seul, en versant une simple provision, calculée selon des règles structurellement spoliatrices (prix du terrain seul diminué du coût de la démolition).

    La conformité de cette loi à la Constitution, qui impose le recours au juge judiciaire, traditionnel gardien de la propriété privée, et que soit versée à l’exproprié « une indemnisation juste et préalable », est plus que douteuse.

    A titre d’illustration, sur la base de cette loi, un studio en région parisienne peut ainsi être indemnisé moins de 5000 euros ! L’atteinte au droit de propriété, droit garanti par la Constitution, imposait d’utiliser cette nouvelle procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

     

  • Grand Paris et droit de préemption

    Le projet de loi sur le futur Grand Paris, alors même qu’il n’est pas encore définitivement arrêté, est déjà à l’origine de réactions très hostiles de la part de beaucoup de grands élus d’Ile de France.

     

    Le droit de préemption, qui serait reconnu notamment à la future Société du Grand Paris, figure en toute première place des critiques entendues.

     

     

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    De quoi s’agit-il ?

     

    Il s’agirait de définir des périmètres d’un rayon d’environ 1.500 m autour des 50 gares du futur réseau de transport en commun. La future Société du Grand Paris – qui aurait le statut d’établissement public national – pourrait y procéder à des expropriations selon la procédure de l’extrême urgence. Il lui serait aussi possible d’y procéder à des préemptions.

     

    Au regard de la taille des périmètres et de leur nombre, certaines communes seraient soumises à ce dispositif sur l’ensemble de leur territoire. Selon le Président du Conseil général du Val de Marne, 30% de son département serait concerné.

     

    Les critiques portent donc sur la recentralisation du droit de l’urbanisme, les élus locaux craignant de perdre leurs prérogatives en matière d’aménagement urbain au bénéfice de l’Etat.

     

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    Qu’en est-il ?

     

    L’article 6 de l’avant projet (ce qui veut dire que ce projet évoluera encore, selon toute vraisemblance, tout au long du processus législatif) prévoit, en effet, de créer autour de chaque gare une zone d’aménagement différé (ZAD). Les ZAD sont un outil de préemption un peu délaissé aujourd’hui. Pour les collectivités locales, l’inconvénient majeur des ZAD est qu’elles sont créées par l’Etat, et pas nécessairement à leur bénéfice. En revanche, le droit de préemption urbain (DPU) est entièrement géré par les collectivités locales, ce qui explique son grand succès.

     

    Le projet de loi envisage donc d’utiliser un outil juridique déjà existant, il est vrai sur une très grande échelle, et en en faisant systématiquement bénéficier un établissement public de l’Etat.

     

    Trois remarques s’imposent.

     

    D’abord, il est inexact de dire que les communes ou les intercommunalités perdraient leurs compétences. En effet, le projet prévoit que la création de la ZAD n’interdirait pas d’exercer le droit de préemption urbain. Il est vrai que, en principe, la création d’une ZAD est incompatible avec l’institution du DPU. Il s’agirait donc ici de créer un mécanisme dérogatoire laissant subsister le droit de préemption urbain.

     

    Autrement dit, les compétences données à la société du Grand Paris en matière de droit de préemption n’en enlèveraient aucune aux communes. Simplement, le projet de loi précise que ce nouveau droit de préemption primera sur le droit de préemption urbain. Ce qui veut dire, qu’en cas de projets concurrents, le projet de l’Etat aurait la priorité sur le projet local.

     

    Ensuite, et cela n’a pas été souligné en dépit de sa grande importance pratique, le délai pour préempter va passer de deux à trois mois. En effet, il est prévu que lorsque la société du Grand Paris renoncera à préempter, le titulaire « ordinaire » de ce droit, la plupart du temps les communes, pourra préempter. Mais le délai sera alors de trois mois.

     

    Ainsi, très concrètement, les transactions immobilières prendront un mois de plus à se réaliser, retardant autant acheteur et vendeur dans leurs projets. Les politiques qui se sont exprimés n’y ont guère été sensibles. Les professionnels de l’immobilier ne se sont pas encore manifestés.

     

    Enfin, il est paradoxal de redonner un second souffle à l’outil de préemption en zones d’aménagement différé, alors que, dans le même temps, la nouvelle proposition de loi de simplification et de clarification du droit, déposée tout récemment par le député Warsmann devant l’Assemblée nationale, envisage la disparition de cet outil juridique.

     

    Cela illustre, une nouvelle fois, le caractère mal coordonné des nombreuses réformes intervenues au cours des dernières années en matière d’urbanisme, et tout particulièrement en matière de droit de préemption.

     

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public