préemption

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légalité

  • Contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation du projet poursuivi par la préemption

    Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation n’est pas totalement inconnu en matière de droit de préemption. La jurisprudence en donne des exemples qui, eu égard au large pouvoir discrétionnaire pour préempter ou ne pas préempter, la plupart du temps estiment qu’il n’y a pas d’erreur (CE, 30 novembre 1984, Villanua, tab. p 773 ; CAA Paris, 7 juin 2007, Ville de Paris, req. n° 06PA04239).

    Il existe cependant des hypothèses ou une telle erreur est retenue (CAA Bordeaux, 9 mars 1995, Commune de Cauterets, req. n° 93BX00778). Le projet peut aussi être jugé inadapté (CAA Nancy, 20 mars 1997, Spéchinor, req 94NC00553) ou, comme en l’espèce, inadéquat.

    Il a ainsi été jugé que « 7 Les parcelles préemptées sont situées à une distance de près de 500 mètres du projet d'aménagement sportif envisagé par la commune d'Orange. Par ailleurs, les cartes produites au dossier démontrent que seule l'avenue Antoine Pinay permet de relier directement ces parcelles au projet du stade du parc des expositions. La commune d'Orange ne démontre pas que la réalisation d'autres liaisons viaires piétonnières ou non entre le bien préempté et le projet d'équipement sportif envisagé serait possible. Au surplus, la commune n'établit pas que ces liaisons permettraient de raccourcir la distance séparant les parcelles préemptées du projet envisagé. Si elle ajoute qu'elle est propriétaire de plusieurs parcelles autour de ce projet, cette circonstance est de nature à démontrer que la collectivité possède des réserves foncières permettant l'aménagement d'accessoires indispensables à proximité immédiate du projet. Ainsi, ce dernier présente un caractère inadéquat compte tenu de sa localisation et ne constitue pas le complément indissociable de l'opération d'aménagement d'équipement sportif envisagée. Il est dès lors dépourvu d'intérêt général comme l'a estimé à bon droit le tribunal. » (CAA Marseille, 14 mai 2018, commune d’Orange, req. n° 17MA03198)

    La jurisprudence récente donne un autre exemple à travers l’exercice d’un droit de préemption sur un droit au bail. La jurisprudence est peu abondante en la matière. Le contrôle de l’objectif poursuivi et de sa réalisation effective peut donner lieu à une appréciation très subtile.

    La préemption d’un bail de restaurant est ainsi annulée pour la raison suivante : « 4. Considérant que l’objectif de préserver ou de favoriser une offre de restauration diversifiée, composée notamment d’un nombre suffisant de restaurants ouverts le soir et proposant un service à table et limitant corrélativement, dans une certaine mesure, le nombre d’établissements proposant une restauration dite « rapide », figure au nombre de ceux qui peuvent être légalement poursuivis par une commune au sein d’un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité ; qu’en outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’activité de bar à salades qu’ils envisagent d’exercer sous l’enseigne « Ankka » entre dans le champ de la restauration « rapide » ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’à la date de la décision en litige, une telle offre de restauration aurait été surreprésentée au sein du quartier du « Faubourg de l’Arche » qui compte une vingtaine de locaux de restauration ; qu’en particulier, le nombre de quatre restaurants « traditionnels », avancé par la commune dans ses écritures en défense, ne prend en compte que des restaurants de type « brasserie » et écarte une dizaine de restaurants italiens, asiatiques ou encore libanais, pourtant ouverts le soir et pratiquant un service à table ; que, de plus, le local commercial au sein duquel les requérants souhaitent développer leur activité n’était auparavant pas occupé par un restaurant « traditionnel » mais par un café de l’enseigne « Starbucks », de telle sorte que la cession de bail litigieuse intervenue le 15 décembre 2015 n’a pas pour effet d’accroître l’offre de restauration « rapide » au sein du quartier ; que, dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que la commune de Courbevoie a commis une erreur d’appréciation en exerçant son droit de préemption sur le bail commercial qu’ils ont acquis le 15 décembre 2015 » (TA Cergy-Pontoise, 5 octobre 2017, commune de Courbevoie, req. n° 1603262).

    Benoît Jorion

  • Préemption : Réalité du projet

    La jurisprudence exige que les titulaires du droit de préemption urbain puissent justifier, à la date de la préemption, « de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date » (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n° 288371, publié au recueil).

    Les projets sont apparus comme suffisamment réels dans les cas suivants :

    • « 4. la production par la commune de Valjouffrey de la délibération de son conseil municipal du 14 février 2014 décidant de solliciter une aide financière de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse et du département de l'Isère, du rapport géotechnique de la société E.G Sol en date du 23 juillet 2014, de la notice d'incidence en date du 19 septembre 2014 adressée au mois de novembre 2014 aux services de la direction départementales des territoires de la préfecture de l'Isère et des différents courriers échangés avec ceux-ci avant qu'ils n'émettent un avis favorable le 5 janvier 2015, établit la réalité, à la date de la préemption en litige, du projet de la commune de Valjouffrey de réaliser une station d'épuration en vue de l'assainissement du hameau de La Chalp » (CAA Lyon, 16 octobre 2018, commune de Valjouffrey, req. n° 17LY02879) ;
    • « 5. Toutefois, un projet de construction de logements sociaux n'a pas nécessairement à être inscrit dans le cadre d'un programme local de l'habitat. La mention, dans la décision du 18 décembre 2015, de l'objectif fixé par le projet d'aménagement et de développement durables du futur plan local d'urbanisme tendant à favoriser une plus grande mixité sociale en diversifiant le parc résidentiel est de nature à établir la réalité du projet de construction de logements sociaux, Mme F... ne contestant pas cette mention » (CAA Paris, 13 décembre 2018, commune de Grégy-lès-Meaux, req. n° 18PA01050).

    Benoît Jorion

  • Exemples de motivation insuffisante des décisions de préemption

    Motivation. Exemples de motivation insuffisante

    La jurisprudence exige que la décision de préemption fasse apparaître « la nature » du projet poursuivi (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n° 288371, publié au recueil).

    A titre d’illustration, les motivations suivantes, parfois développées, ont été jugées insuffisantes :

    • «  La délibération du 27 mai 2014, qui se borne à faire état des inconvénients du projet envisagé par l'acquéreur des parcelles objet de la préemption et de l'absence de conformité de ce projet aux lignes directrices d'aménagement paysager définies dans le projet d'aménagement et de développement durables (PADD) figurant au plan local d'urbanisme, ne précise pas la nature de l'opération pour la réalisation de laquelle le droit de préemption est exercé. Cette délibération ne fait aucunement état d'une opération d'aménagement préalablement définie dans laquelle s'insérerait la décision de préemption en litige. Elle ne fait pas davantage référence à un document qui aurait comporté la motivation requise dès lors que le PADD de la commune se borne à définir de simples orientations générales pour l'aménagement de la zone AU1 » (CAA Douai, 1er février 2018, commune de Glisy, req. n° 16DA00359) ;
    • «  si la décision de préemption en litige fait référence à des délibérations des 23 juin 2000 et 23 septembre 2005 par lesquelles le conseil municipal a respectivement décidé, d'une part, d'instaurer un périmètre de prise en compte d'une opération d'aménagement sur le secteur du plateau de la Sarre en vue d'organiser son aménagement futur et, d'autre part, de lancer une procédure de concertation préalable à la création d'une zone d'aménagement concerté sur le secteur du plateau de la Sarre, ni ces indications relatives au contenu de ces délibérations ni les autres motifs énoncés dans la décision, qui se bornent à faire état de précédentes acquisitions amiables dans le secteur et à mentionner la nécessité d'étendre la maîtrise foncière dans le périmètre concerné pour répondre aux objectifs de son aménagement dont les modalités seront traduites dans le futur plan local d'urbanisme, ne font apparaître la nature du projet en vue duquel le droit de préemption a été exercé» (CAA Lyon, 15 février 2018, req. n° 16LY02713) ;
    • « 6. la décision attaquée n'apporte, en dépit de longs rappels sur les différentes raisons ayant poussé la CCVI à créer cette ZAC, aucune justification particulière précise de l'intérêt s'attachant à ce que la commune de La Mézière, membre de la CCVI, puisse constituer une réserve foncière " qui permettra à la CCVI de réaliser son projet d'aménagement ". Elle n'identifie pas davantage quel objectif particulier attaché à la réalisation de la ZAC communautaire serait de la sorte facilité par la constitution, par une de ses communes adhérentes, d'une réserve foncière, la commune de la Mézière n'ayant par ailleurs, à l'occasion de la délibération adoptée le 24 janvier 2014 déléguant son droit de préemption urbain à l'établissement public foncier, fourni aucun éclairage permettant de comprendre en quoi son intention d'acquérir le terrain objet du litige, pour constituer des réserves foncières, s'articulait avec les opérations d'aménagement de la ZAC communautaire » (CAA Nantes, 24 septembre 2018, EURL Alternimmo, req. n° 17NT02377).Benoit Jorion
  • Une DIA incomplète ou erronée ne rend pas illégale une décision de préemption

    Conseil d’Etat, 12 février 2014, Société Ham Investissement c/ Commune de Cergy, req. n° 361741, à paraître aux tables

    Salle du contentieux CE.jpg

     

    Extraits : « le titulaire du droit de préemption dispose, pour exercer ce droit, d'un délai de deux mois qui court à compter de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner et que ce délai, qui constitue une garantie pour le propriétaire, ne peut être prorogé par une demande de précisions complémentaires que si la déclaration initiale est incomplète ou entachée d'une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation ; qu'en revanche, la circonstance que la déclaration d'intention d'aliéner serait entachée de tels vices est, par elle-même, et hors le cas de fraude, non invoqué dans le présent litige, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption prise à la suite de cette déclaration ; que les dispositions précitées de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme ne font cependant pas obstacle à ce que le juge judiciaire prenne en considération, au titre de son office, pour apprécier la validité de la vente résultant d'une décision légale de préemption, les indications figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner à l'origine de cette décision ».

     

    Cergy.jpgCommentaire : Une décision de préemption est un acte administratif qui suit un acte de droit privé, la déclaration d’intention d’aliéner (DIA), et qui peut être suivie d’un autre acte de droit privé, le contrat de vente du bien.

    La question des conséquences à tirer de l’annulation d’une décision de préemption, sur la vente qui a pu être passée ensuite, restent encore aujourd’hui en débat.

    Cependant, avec l’arrêt Société Ham Investissement, le Conseil d’Etat vient de trancher la question des effets d’une déclaration d’intention d’aliéner, incomplète ou erronée, sur la légalité de la décision de préemption.

    Le contentieux était atypique. En effet, généralement, c’est le préempté et/ou l’acquéreur évincé qui, pour tenter de faire annuler la décision de préemption, invoquent l’erreur commise dans la rédaction de la déclaration d’intention d’aliéner. En l’espèce, c’est la commune, titulaire du droit de préemption, qui, après avoir préempté, a refusé de signer la vente, conduisant le préempté à saisir le juge judiciaire pour qu’il constate la  vente. Le juge administratif a alors été saisi, sur renvoi du juge judiciaire, afin d’apprécier la légalité de la décision de préemption. Peut-être pour ne pas se déjuger, la commune s’est contentée d’invoquer devant le tribunal administratif puis devant le Conseil d’Etat, pour démontrer l’illégalité de sa propre décision de préemption, des vices entachant la déclaration d’intention d’aliéner.

    Le Conseil d’Etat était donc saisi de la question de principe des conséquences, sur la légalité d’une décision de préemption, des erreurs ou des omissions entachant une déclaration d’intention d’aliéner.

    Il avait déjà admis que, par exception au principe selon lequel le délai de deux mois laissé pour préempter constitue une garantie pour le propriétaire, ce délai pouvait être prorogé par une demande de précisions complémentaires du titulaire du droit de préemption «si la déclaration initiale était incomplète ou entachée d'une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation »  (CE, 24 juillet 2009, Société Finadev, req. n° 316158, publié aux tables).

    En revanche quand une décision de préemption était adoptée et qu’elle était contestée en excipant du caractère erroné ou incomplet de la déclaration d’intention d’aliéner, les juridictions du fond s’étaient souvent montrées réceptives à cette argumentation (par exemple, CAA Nantes, 31 octobre 2005, Commune de Noirmoutier-en-l’île, req. n° 05NT01658).

    Le Conseil d’Etat rompt avec cette jurisprudence. Sous la réserve d’une fraude, toujours difficile à démontrer, il pose que le fait qu’une déclaration d’intention d’aliéner soit incomplète ou entachée d'une erreur substantielle, tenant à la consistance du bien, au prix ou aux conditions de vente, est sans incidence sur la légalité de la décision de préemption.

    Une telle position doit être approuvée. D’une part, elle évite de faire dépendre la légalité d’un acte administratif d’un acte de pur droit privé, le Conseil d’Etat renvoyant au juge judiciaire le soin de tenir éventuellement compte des indications contenues dans la DIA. D’autre part, elle constitue le prolongement de la position récente du Conseil d’Etat (CE, 26 juillet 2011, SCI du Belvédère, req. n°324767) considérant que le préempté ne pouvait faire valoir sa propre erreur lors de la rédaction de la DIA (erreur sur le prix) pour obtenir l'annulation de la décision de préemption.

    Il appartient donc, tant au rédacteur de la déclaration d’intention d’aliéner, qu’au titulaire du droit de préemption, d’être vigilant sur le délai de deux mois, son expiration marquant le terme des débats possible autour de son caractère complet et exact.

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public