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préemption - Page 8

  • Une renonciation à préempter est définitive

    Conseil d’Etat, 12 novembre 2009 Société Comilux c/ Commune de Créteil, req. n° 327451, à paraître aux tables

     

    Conseil d'Etat.jpgExtraits : « Considérant qu'aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme : Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration, dont le maire transmet copie au directeur des services fiscaux, comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée, ou en cas d'adjudication, l'estimation du bien ou sa mise à prix. / (...) Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption ; que, selon l'article R. 213-8 du même code, Lorsque l'aliénation est envisagée sous forme de vente de gré à gré ne faisant pas l'objet d'une contrepartie en nature, le titulaire du droit de préemption notifie au propriétaire : / a) Soit sa décision de renoncer à l'exercice du droit de préemption / b) Soit sa décision d'acquérir aux prix et conditions proposés, y compris dans le cas de versement d'une rente viagère ; / c) Soit son offre d'acquérir à un prix proposé par lui et, à défaut d'acceptation de cette offre, son intention de faire fixer le prix du bien par la juridiction compétente en matière d'expropriation (...) ;

    Considérant qu'il ressort de ces dispositions combinées, qui visent notamment à garantir que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption puissent savoir de façon certaine et dans les plus brefs délais s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise, que lorsque le titulaire du droit de préemption a décidé de renoncer à exercer ce droit, que ce soit par l'effet de l'expiration du délai de deux mois imparti par la loi ou par une décision explicite prise avant l'expiration de ce délai, il se trouve dessaisi et ne peut, par la suite, retirer cette décision ni, par voie de conséquence, légalement décider de préempter le bien mis en vente ;

    Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Melun que le maire de Créteil a, par décision du 26 décembre 2008, expressément renoncé à exercer son droit de préemption sur un immeuble, situé dans cette commune, que la SOCIETE COMILUX avait déclaré vouloir aliéner au profit de la SOCIETE CHAVEST ; qu'il a retiré cette décision le 26 janvier 2009 au motif qu'elle aurait procédé d'une confusion entre des déclarations d'intention d'aliéner portant sur des biens immobiliers distincts reçues durant la même période ; qu'il a ensuite décidé le 9 février 2009 de préempter l'immeuble en cause ; »

    Creteil2.jpg Commentaire : Décidemment, le régime du droit de préemption est atypique. Cette affaire dans laquelle la commune de Créteil indiquait s’être trompée en renonçant à préempter un bien, avant de tenter de se raviser, l’illustre une fois de plus.

    D’une façon générale, lorsque l’administration se trompe, elle dispose d’une espèce de droit au repentir. C’est le régime du retrait des actes administratifs. Afin de combiner légalité administrative et sécurité juridique, elle peut retirer, c’est-à-dire faire disparaître rétroactivement sa décision. Le retrait est très encadré : pour un acte créateur de droit, et sauf exception, le retrait doit intervenir dans un délai de quatre mois et la décision retirée doit être illégale.

    Le particularisme d’une décision de préemption est qu’elle ne peut intervenir que dans un délai limité. D’après l’article L. 213-2 du code de l'urbanisme « Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la (DIA) vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption », ce qui veut dire que la décision de préemption doit parvenir au vendeur dans un délai de deux mois. Passé ce délai, le titulaire du droit de préemption ne peut plus légalement préempter un bien.

    Comment combiner ce délai de deux mois pour préempter et la possibilité de retrait d’une décision renonçant à préempter, c’est-à-dire, pour être clair, est-il possible pour le titulaire d’un droit de préemption de préempter après qu’il y eut expressément renoncé ?

    De façon intéressante, deux cours administratives d’appel (CAA Paris, 17 février 2000 Commune de Genevilliers, req. n° 97PA02115 ; CAA Lyon 27 mai 2008 Ville de Saint-Etienne, req n° 07LY00493) avaient analysé une décision de préempter comme un acte créateur de droit et lui avaient appliqué le régime du retrait des actes administratifs.

    Mais, il semble que la question, non pas du retrait d’une décision de préemption, mais du retrait d’une décision renonçant à préempter, était inédite.

    Appliquer le droit commun du retrait à une renonciation à préempter aurait présenté un inconvénient majeur, celui d’allonger la période d’incertitude dans laquelle se trouvent l’acheteur et le vendeur en leur laissant craindre que la non préemption puisse être retirée dans un délai de quatre mois. Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, cela aboutirait à leur imposer d’attendre six mois après la déclaration d’intention d’aliéner (2 mois de DIA + 4 mois de retrait) avant de conclure une vente. Un tel délai serait manifestement excessif.

    Appliquer le droit commun du retrait aurait également été irréaliste. En effet, contrairement à une décision de préemption, le régime juridique d’une renonciation à préempter n’est pas encadré. Il peut donc être pronostiqué qu’une renonciation à préempter serait été très rarement illégale. La condition d’illégalité de la décision retirée serait donc rarement remplie.

    Le Conseil d’Etat, dans l’arrêt Comilux c/ Commune de Créteil adopte une position radicale : il écarte le régime du retrait et juge qu’il n’y a pas de retrait possible en cas de renonciation à préempter.

    Qu’il n’y ait pas de retrait possible lorsque l’administration laisse passer le délai de préemption sans se prononcer est normal. D’abord, on peut hésiter avant de qualifier le simple silence gardé par l’administration sur l’information adressée par le vendeur de « décision implicite ». Ensuite et surtout, admettre un tel retrait aboutirait à permettre à l’administration de préempter au-delà du délai de deux mois, ce qui est contraire au texte même de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme.

    Qu’il n’y ait pas davantage de retrait possible lorsque l’administration a pris une décision explicite avant l'expiration de ce délai, c’était moins évident. Cela signifie que l’administration se dessaisit de sa compétence et, alors même que le délai de deux mois n’est pas expiré, qu’elle ne peut plus revenir sur sa renonciation à préempter. De même, elle ne peut plus, après retrait, prendre une décision de préemption. Une telle décision serait donc également illégale.

    Ce régime dérogatoire au droit commun du retrait des actes administratifs peut être expliqué par le caractère exorbitant du droit de préemption : il retarde, et quand il est exercé, il empêche, une vente immobilière. Cette gène doit être la plus légère possible. Aussi, pour le Conseil d’Etat, les textes applicables « visent notamment à garantir que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption puissent savoir de façon certaine et dans les plus brefs délais s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise ».

    C’est cette même garantie de la nécessaire certitude que doit avoir un propriétaire de pouvoir vendre son bien « dans les plus brefs délais » qui a été récemment invoquée par le Conseil d’Etat pour encadrer la prorogation du délai d’instruction de la déclaration d’intention d’aliéner (CE 24 juillet 2009 Société Finadev, req. n° 316158).

    Avec cet arrêt, le Conseil d’Etat applique un régime juridique dérogatoire à un mécanisme qui ne l’est pas moins.

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

     

     

     

  • préemption des fonds de commerces : des nouvelles

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    Brève Immobilier du 9 octobre 2009 parue sur le site http://www.cession-commerce.com

     

    Droit de préemption: une vingtaine d'applications seulement en deux ans

     

    Deux après la parution du décret d’application de la loi du 2 août 2005 offrant la possibilité aux communes, dans certaines conditions, d’exercer un nouveau droit de préemption spécifique lors de la cession de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux, quel bilan tirer de ce dispositif ? C’est la question posée lors d’une table ronde organisée par l’AJMPE (Association des journalistes PME), à laquelle participaient Dominique Moreno, sous-directrice-département de droit public et économique à la Chambre de Commerce et d’industrie de Paris, Christian Hervy, maire de Chevilly Larue et Dominique Harl, délégué Seine Saint-Denis de l’Ordre des Experts-comptables.


    En préambule, Dominique Moreno a rappelé qu’il s’agit d’une faculté que la commune peut utiliser mais qu’en aucun cas, elle n’y est obligée.

     
    Les résultats. A la fin juillet 2009, 480 périmètres de préemption avaient été votées par les conseils municipaux. Mais seulement une vingtaine d’applications étaient en cours de discussion. « Le Périmètre est un bon outil d’observation », ont estimé les experts présents. « Mais le droit de préemption est une procédure piégeante », a complété Dominique Moreno.

     
    Parmi les lacunes du dispositif : l’indication du chiffre d’affaires sur les trois dernières années est facultative, ce qui rend très difficile l’appréciation de la situation réelle du commerce. De plus, la mention de l’activité de l’acquéreur pressenti est également facultative. Donc difficile pour la commune d’exercer son droit de préemption si elle ne peut évaluer la menace représentée par la cession sur la diversité de son tissu commercial.


    Une procédure au service d’une stratégie de développement commercial. « Le Maire doit avoir une stratégie de développement global derrière ce dispositif. Il faut également avoir les moyens car cette procédure a un coût pour la commune. Nous avons inscrit 1ME au budget pour ces deux opérations », estime Christian Hervy, maire de Chevilly Larue, qui a voté deux plans de préemption. Une procédure qui s’avère donc coûteuse à mettre en place pour les petites communes

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    Commentaire : Intéressante brève consacrée au nouveau droit de préemption des fonds de commerce.

     

    Les collectivités locales et les praticiens sont aujourd’hui dans une phase d’expectative et l’information est encore limitée.

     

    Ainsi que l’indique la brève, beaucoup de communes (480) se sont empressées de définir des périmètres de préemption, ce qui, au regard de la complexité de la mise en place du dispositif, montre qu’il y avait une forte attente de leur part.

     

    Relever qu’une vingtaine d’application a eu lieu (à supposer que ce chiffre soit le bon, ce qui est invérifiable), par rapport au grand nombre de transactions nécessairement intervenues dans ces zones, est relativement faible. Mais cela se comprend au regard des incertitudes du processus de préemption et de rétrocession.

     

    Cet attentisme explique aussi sans doute que la jurisprudence se fasse encore largement attendre.

     

    Cette brève confirme que ce type de dispositif est d’abord un outil d’observation des cessions en passe d’intervenir sur un territoire. On sait malheureusement par expérience que, de l’observation à la dissuasion, voire à l’intimidation, il n’y a souvent qu’un pas.

     

    Enfin, dernière confirmation : le dispositif est très imparfait. Les collectivités locales s’en rendent compte, confrontées à une information insuffisante au moment de la cession. Les praticiens le savent aussi, confrontés à la question de savoir si une cession donnée relève ou non du dispositif de la déclaration préalable, et selon quelles formes.

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

  • De l’exigence d’une politique globale pour préempter

    Conseil d’Etat, 6 mai 2009 Commune du Plessis-Trévise, à paraître aux tables

     

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    Extraits : « Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ; qu'aux termes de l'article L. 300-1 du même code : Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ; que si la lutte contre l'habitat insalubre entre dans les objets de l'article L. 300-1 et peut en conséquence justifier l'exercice du droit de préemption urbain, la démolition d'un bâtiment, sa dépollution ou la volonté de restructurer des parcelles ne sauraient constituer, à elles seules, dès lors qu'elles ne s'inscrivent pas dans un projet plus global relevant de l'article L. 300-1, l'une des actions ou opérations d'aménagement mentionnées par les dispositions précitées ;

      
    Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le souci de poursuivre la restructuration parcellaire de la zone , mentionné dans l'arrêté de
    préemption attaqué, ne pouvait constituer à lui seul, eu égard à l'absence de toute précision sur les objectifs poursuivis et au faible degré d'avancement du projet envisagé sept ans auparavant, une action ou opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, la cour administrative d'appel de Paris, qui a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que la volonté de démolir un bâtiment vétuste isolé, même si elle s'accompagne de désamiantage et de suppression de cuves en sous-sol, ne peut être regardée comme une action ou opération de lutte contre l'insalubrité au sens de l'article L. 300-1 ; »

     

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    Commentaire : Le Conseil d’Etat, saisi en cassation d’un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Paris qui avait fait l’objet d’une note ici même (CAA Paris, 4 octobre 2007, Commune du Plessis-Trévise, req. n° 04PA01745), confirme l’annulation prononcée, mais avec des motifs quelques peu différents.

     

    En appel, la Cour avait jugé la préemption illégale, en dépit des trois motifs invoqués par la commune, parce que deux n’entraient pas dans les objectifs posés par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme et que le troisième était insuffisamment précis. La jurisprudence Commune de Meung-sur-Loire interdisait de confirmer purement et simplement cet arrêt.

     

    Aussi, le Conseil d’Etat a procédé par substitution de motifs. La commune avait invoqué la lutte contre l’habitat insalubre pour préempter un bâtiment qu’elle envisageait de démolir. Le Conseil d’Etat pose que, si la lutte contre l'habitat insalubre peut justifier l'exercice du droit de préemption urbain, « la démolition d'un bâtiment, sa dépollution ou la volonté de restructurer des parcelles ne sauraient constituer, à elles seules, dès lors qu'elles ne s'inscrivent pas dans un projet plus global relevant de l'article L. 300-1, l'une des actions ou opérations d'aménagement mentionnées par les dispositions précitées ».

     

    Le Conseil d’Etat rappelle ainsi opportunément que le projet d’action ou l’opération d’aménagement visé par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme doit avoir une certaine ampleur. Le Conseil d’Etat l’avait déjà posé à propos de micro aménagements urbains, notamment en matière d’aménagement de la voie publique. Une décision de préemption doit donc s’inscrire dans une politique globale et non obéir à une logique d’acquisitions de pure opportunité, au gré des mutations envisagées.

     

    Cet arrêt doit être rattaché à la jurisprudence Commune de Meung-sur-Loire, dont le considérant de principe est d’ailleurs repris. Dans cette affaire, une politique de réaménagement et de revitalisation engagée par une délibération municipale et menée dans un secteur donné avait paru pour le juge administratif pouvoir permettre d’établir le caractère suffisamment réel d’un projet.

     

    Avec ces deux arrêts, le Conseil d’Etat tend à faire prévaloir, en matière de droit de préemption, un rôle d’instrument de planification urbaine plutôt qu’un simple droit d’acquisition foncière. C’est aussi réaffirmer qu’entre la possibilité offerte par la loi de préempter pour lutter contre l’habitat insalubre et une décision de préemption ayant un tel objet, il convient d’avoir inscrit cet objectif dans une politique locale, autrement dit de pouvoir établir la réalité d’un projet.

     

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

  • Indemnisation pour baisse du prix de vente

    TA Cergy Pontoise 30 avril 2009 Mme Virginie V. c Commune de Saint-Ouen, req. n° 0604107

     

    Tribunal administratif Cergy-Pontoise.jpg

     

    Extrait :

     

    « Considérant qu’après avoir préempté, par décision du 2 octobre 2003, l’appartement pour lequel Mme V. avait trouvé un acquéreur au prix de 77.749 euros et après avoir ainsi provoqué l’échec de cette vente du fait de la renonciation de l’acquéreur pressenti, la commune de Saint-Ouen a renoncé à l’exercice du droit de préemption de ce bien pour lequel une nouvelle déclaration d’intention d’aliéner lui avait été adressé au mois de janvier 2004 ; qu’en l’absence de toute justification sérieuse de ce revirement, l’abstention de la commune doit être regardée comme établissant l’absence de projet réel de la collectivité sur le bien préempté ; que, par suite, Mme V. est fondée à soutenir que la décision de préemption précitée est entachée d’illégalité et que cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de la commune de Saint-Ouen qui doit être condamnée à indemniser Mme V. des préjudices directs et certains que lui a causé cette illégalité. »

     

    Commentaire :

     

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    Intéressant jugement qui fait application des principes posés par l’arrêt Commune de Fayet à un préjudice résultant d’une décision de préemption illégale.

     

    Le mécanisme est le suivant :

     

    -         Compromis de vente à un prix de 100 ;

    -         Préemption par la commune à un prix de 50 ;

    -         Pressions sur le vendeur pour qu’il accepte de vendre à 75 ;

    -         Nouveau compromis de vente à 75 ;

    -         Renonciation à préemption de la part de la commune ;

    -         Vente à 75.

     

    Dans cette hypothèse, le vendeur a dû vendre à un prix inférieur au prix qu’il avait initialement librement négocié (perte de 25).

     

    Le jugement est novateur en ce qu’il retient que c’est le revirement de la commune, qui en quelque mois a souhaité puis n’a plus souhaité préempter le même bien qui, en lui-même, établît « l’absence de projet réel de la collectivité sur le bien préempté ». Or, cette  absence de projet a causé de façon directe et certaine le préjudice, pour reprendre les critères de l’arrêt commune de Fayet.

     

    En l’espèce, dans le jugement commenté, la venderesse est indemnisée de la différence entre le premier prix auquel elle a dû renoncer, et celui auquel elle a vendu son bien (25 dans l’exemple donné). A noter aussi qu’elle a été indemnisée alors qu’elle n’avait engagé son action que plus de deux ans après la décision de préemption illégale.

     

     

    Ce jugement constitue donc une bonne illustration des possibilités offerte aux vendeurs en cas de préjudice causé par une décision de préemption illégale.

     

     

     

    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris,
    Spécialiste en droit public

     

  • Statistiques sur les préemptions à Montreuil

    Extrait d’un blog de M. Manuel Martinez, nouvel adjoint au maire chargé de l’urbanisme de la commune de Montreuil. Post du 13 février 2009

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    « La vérité sur les préemptions à Montreuil


    L'usage immodéré voire abusif du droit de préemption à Montreuil a longtemps été un sujet de discussion parmi les Montreuillois. En tant qu'adjoint à la maire, chargé de l'urbanisme, je suis heureux d'avoir contribué en 2008 à un retour à la normale et à plus de transparence.

    Retour sur quelques chiffres en détail.

    En 2007, on dénombrait 1607 transactions immobilières. 101 ont fait l'objet d'une préemption (soit 6,28%) mais seulement 9 ont abouti ! Cela montre bien à quel point l'usage du droit de préemption était pour le moins contestable. J'ajoute que l'abus de préemption n'a pas fait ses preuves pour lutter contre la hausse généralisée des prix de l'immobilier à Montreuil ces 10 dernières années.

    En 2008, le nombre de transactions a diminué à 1405 (avec une forte baisse au second semestre en raison de la crise du crédit notamment). 45 préemptions seulement (soit 3.2% des transactions). Je précise que 14 préemptions concernent le premier trimestre 2008 (avant les élections). Sur les 31 restantes, 13 ont d'ores et déjà fait l'objet d'une acquisition par la ville.

    Nous avons donc diminué significativement les préemptions et celles-ci sont justifiées exclusivement par un des motifs suivants :

    - la maitrise de parcelles liés à des projets d'aménagement à venir
    - la lutte contre l'habitat insalubre et l'éviction des marchands de sommeil.

    Les Montreuillois peuvent donc être rassurés sur l'usage du droit de préemption dans leur ville
    . »

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    Commentaire :

    Il est quasiment impossible de connaître le nombre de préemptions décidées dans une commune ou une intercomunalité. Certes, un registre à cet effet est prévu par le code de l’urbanisme (article L. 213-13). Toutefois, l’absence de tenue régulière, voire l’absence de registre, n’est pas sanctionnée. Surtout, ce registre ne recense que les préemptions qui ont abouti à l’acquisition du bien, ce qui ne constitue qu’une petite partie des préemptions décidées.

    Les statistiques données par M. Manuel Martinez, nouvel adjoint à l’urbanisme de la commune de Montreuil, sont donc particulièrement intéressantes. Elles le sont d’autant plus que la commune de Montreuil à beaucoup utilisé le droit de préemption, c’est un euphémisme, ainsi que le reconnait d’ailleurs cet élu.

    Il faut donc d’autant plus saluer ce souci de transparence, même si la volonté de se démarquer de la précente municipalité l’explique.

    Que nous apprennent donc ces chiffres : par le passé (2007) 6,23% des transactions ont donné lieu à préemption. C’est beaucoup plus que la moyenne nationale qui est évaluée (ce chiffre est très empirique) à 2 ou 3%. Toutefois, l’impact d’une politique massive de préemption dépasse ce pourcentage car elle conduit les vendeurs potentiels à modifier leur comportement: ils peuvent ainsi renoncer à vendre, tenter de contourner juridiquement l’exercice du droit de préemption, ou encore « négocier » le non exercice de ce droit.

    Autre chiffre : sur 101 décisions de préemption, 9 seulement ont abouti. Le recul n’est sans doute pas suffisant pour considérer ce chiffre comme définitif. Deux enseignements peuvent cependant en être tirés.

    D’abord, la plupart du temps, il existe pour les vendeurs et les acheteurs de nombreuses possibilités de faitre échec au droit de préemption (refus du prix, recours en annulation, référé suspension, renonciation à vendre...) qui n’est donc pas une fatalité. Un taux de réussite de seulement 9% l’illustre bien.

    Ensuite, par son usage massif, pour certaines communes, le droit de préemption se transforme bien davantage en droit d’empêcher (ou de retarder) une transaction, qu’en véritable politique d’acquisition foncière.

    La politique actuelle de la commune de Montreuil serait désormais de limiter le nombre de préemptions. Ces dernières n’ont toutefois pas disparu. Leur nombre reste même plutôt élevé dans une commune aussi urbanisée. Limiter leur objet, ainsi qu’annoncé, ne suffit pas à rendre légales ces décisions.

    Par ailleurs, les notions de « projets d'aménagement à venir », de « lutte contre l’habitat insalubre » et « d'éviction des marchands de sommeil », qui ne sont pas contestables dans leur principe, laissent place aussi, l’expérience le montre, à de réels abus.

    Quant au futur, il serait intéressant que la commune de Montreuil, comme d’autres communes d’ailleurs, communique régulièrement sur le nombre de décisions de préemption, le nombre d’acquisitions effectuées et les raisons de l’écart entre ces deux chiffres.

    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris
    Spécialiste en droit public