préemption

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préemption - Page 5

  • Avis des domaines. Hypothèse de préemption de lots distincts

    (CAA Nantes, 1I décembre 2016, société Orest, req. n° 15NT02379)

    La saisine des domaines, en préalable à l’exercice du droit de préemption, est obligatoire lorsque le bien a une valeur supérieure à 75.000 euros (arrêté du 17 décembre 2001). En l’espèce, deux parcelles avaient été vendues par adjudication à un prix inférieur pour chacune à 75.000 euros, mais à un prix total supérieur à cette somme.

    Pour la Cour administrative d’appel de Nantes, le titulaire du droit de préemption doit également recueillir l’avis des domaines « lorsque l’acquisition envisagée constitue une tranche d’un montant supérieur à ce prix, faisant partie d’une opération d’ensemble dont le montant est égal ou supérieur à ce seuil ».

    La Cour relève en l’espèce que ces parcelles appartenaient à la même famille, étaient d’un seul tenant, formaient un tout homogène et étaient destinées à être intégrées dans le même ensemble foncier, ce qui imposait de recueillir préalablement l’avis du service des domaines.

    Benoît Jorion

  • Prise en compte du prix de la préemption pour apprécier la légalité de cette dernière

    (TA Nantes, 21 février 2017, Association immobilière de Saint-François-Xavier, req. n° 1405970).

    Un tribunal administratif avait accepté, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, de tenir compte du prix d’une préemption (TA Montreuil, 10 février 2012, req. n° 1200486) avant d’être censuré par le Conseil d’Etat (CE, 7 janvier 2013, commune de Montreuil, req. n° 357230, mentionné aux tables). Un tel contrôle sur le prix de la préemption présente l’intérêt d’éviter l’abus qui consiste, pour le titulaire du droit de préemption, à fixer un prix abusivement bas, dans le but réel d’empêcher la vente. L’inconvénient tient au risque d’empiètement sur la compétence du juge de l’expropriation.

    Le cas d’espèce porte sur une préemption en espace naturel sensible, ce qui n’a pas pour effet de limiter la portée de la décision commentée. Pour le tribunal administratif de Nantes : « le caractère insuffisant ou excessif du prix proposé par le titulaire du droit de préemption de ce bien au regard du marché est, par lui-même, en principe, sans incidence sur la légalité de la préemption ; qu’il ressort toutefois des pièces du dossier que le service France Domaine, consulté par le département de la Loire-Atlantique, a estimé, aux termes de son avis du 16 avril 2014, antérieur aux décisions de préemption, que le prix global de 2 500 000 euros, correspondant à l’ensemble des parcelles, n’appelait pas d’observations particulières ; que le juge de l’expropriation a par ailleurs intégralement confirmé ces évaluations par deux jugements du 19 mars 2015 ; que le département de la Loire-Atlantique a fixé son prix d’acquisition au montant global de 24 108,70 euros, soit 0,96 % du prix de vente évalué par le juge de l’expropriation et le service des domaines ; qu’ainsi, eu égard à cette disproportion, le département de la Loire-Atlantique ne peut être regardé comme ayant eu réellement l’intention d’acquérir cet ensemble immobilier pour mettre en œuvre la politique prévue à l’article L. 142-1 du code de l’urbanisme ».

    Ce jugement présente l’intérêt de montrer la difficulté pour le juge administratif de ne pas contrôler le prix, prix qui constitue pour le vendeur l’élément déterminant de la décision de préemption, surtout lorsque, comme en l’espèce, il apparait aussi manifestement entaché d’erreur d’appréciation, voire de détournement de pouvoir.

    Benoît Jorion

  • Préemption motivée par la volonté de s’opposer à une vente sur le seul critère de son prix

    (TA Cergy-Pontoise, 22 juillet 2016, Mme A. c/ commune de Nanterre, req. n° 1407488)

    Certaines communes tentent d’utiliser le droit de préemption à des fins de régulation des prix pratiqués sur leur territoire. Conscientes de la fragilité juridique d’un tel objectif, ce dernier était généralement dissimulé. En l’espèce, une commune qui avait mis en place une politique d’accession à la propriété avec des prix inférieurs au marché, avait tenté de s’opposer à une revente en préemptant. Cette préemption était explicitement motivée par la plus-value réalisée.

    Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, confirmé définitivement en appel (CAA Versailles, 5 octobre 2017, commune de Nanterre, req. n° 16VE02954), a annulé la décision de préemption en posant « qu’une telle action repose sur l’unique critère du prix de revente du bien calculé par rapport à son seul prix d’achat ; qu’elle constitue ainsi une démarche uniquement anti-spéculative ayant pour effet de compenser l’insuffisance de clauses protectrices dans les contrats conclus dans la ZAC avant la mise en oeuvre de la délibération du 25 juin 2013 ; que l’usage du droit de préemption afin de s’opposer, sur le seul critère du prix, à des ventes portant, comme en l’espèce, sur des logements ayant été acquis dans le cadre d’une accession aidée ne constitue pas une action susceptible de fonder légalement une décision de préemption au sens des dispositions précitées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme. »

    On ne peut que se féliciter que cette décision n’ait pas ajouté aux très nombreux objectifs possibles des décisions de préemption posés par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, un objectif de régulation des prix de l’immobilier. Une telle action ne peut en effet être qualifiée d’action ou d’opération d’aménagement au sens de cet article.

    Benoît Jorion

  • Un projet de construction de logements sociaux permet-il l'exercice du droit de préemption urbain ?

    Conseil d’Etat, 2 novembre 2015, Commune de Choisy-le-roi, req. n° 374957, à paraître aux tables

     

    Extraits : Salle du contentieux CE.jpg« un projet de construction de trente-cinq logements sociaux, eu égard à son ampleur et à sa consistance, présente par lui-même le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement et a par nature pour objet la mise en oeuvre d'une politique locale de l'habitat. Il permet donc l'exercice du droit de préemption urbain. »

    Commentaire : Le droit de préemption ne peut être exercé que si le titulaire de ce droit dispose d’un projet antérieur. Il s’agit ainsi d’éviter une pratique malheureusement trop répandue d’acquisition motivée par des raisons de pure opportunité.

    choisy le roi.jpgPour autant, la jurisprudence et la législation n’ont cessé d’alléger cette condition. Alors qu’initialement, un « projet précis et certain » était nécessaire (CE, Sect., 26 février 2003, Bour, req. n° 231558, rec. p. 59), le conseil d’Etat, depuis un arrêt Commune de Meung-sur-Loing (CE, 7 mars 2008, req. n° 288371, rec. p. 97), s’est contenté d’un projet suffisamment réel, mais aux caractéristiques encore imprécises.

    Le législateur, de son côté, a admis que, lorsqu’un programme local de l’habitat a préalablement fait l’objet d’une délibération de la commune, la décision de préemption pouvait s’y référer (loi du 13 décembre 2000, dernier § de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme). Cela permet à certaines communes, à l’appui de leurs décisions de préemption, de systématiquement viser une telle délibération, lorsqu’elle fait état de la volonté de réaliser un programme de logements sociaux.

    Pour autant, il convenait que « l’acquisition de l’immeuble soit justifiée par une politique locale de l’habitat qui implique le développement organisé d’une offre de logements adaptés aux besoins propres de chaque catégorie de population » (CE, 27 avril 2001, commune de Montreuil, req. n° 202791, tab. p. 1226).

    Le Conseil d’Etat vient de modifier un peu plus l’équilibre fragile en la matière entre, d’une part, la liberté du commerce et de l’industrie, qui passe par la possibilité pour un vendeur de vendre à l’acquéreur et au prix de son choix et pour un acquéreur de mener à bien son projet immobilier, et, d’autre part, l’intérêt général qui permet d’exercer la prérogative exorbitante qu’est le droit de préemption, lorsqu’il existe effectivement un projet public.

    En effet, dans l'affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commune de Choisy, les juridictions du fond avaient annulé la décision de préemption de la commune, motivée par la volonté de réaliser 35 logements sociaux, en considérant que, au vu des justificatifs produits, la commune ne justifiait pas d’un projet suffisamment réel. Par ailleurs, cette commune n’avait sans doute pas adopté de programme local de l’habitat.

    Le Conseil d’Etat a cassé l’arrêt déféré en posant que « un projet de construction de trente-cinq logements sociaux, eu égard à son ampleur et à sa consistance, présente par lui-même le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement et a par nature pour objet la mise en oeuvre d'une politique locale de l'habitat. Il permet donc l'exercice du droit de préemption urbain. »

    Le Conseil d’Etat invente ainsi la justification auto-réalisatrice en matière de droit de préemption. Le fait d’invoquer un projet d’une certaine ampleur, « par lui-même », constituerait une action ou une opération d’aménagement. Le Conseil d’Etat va même plus loin en affirmant qu’un tel projet, « par nature », aurait pour objet la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat.

    C’est oublier qu’il existe, dans la réalité, une différence importante entre le projet allégué pour justifier une décision de préemption et la réalisation effective d’un tel projet. La décision de préemption ne réalise donc pas, en elle-même, le projet immobillier.

    Un projet de construction n’est pas « en lui-même » une action ou une opération d’aménagement, mais l’annonce de ce qui pourrait avoir lieu et dont rien dans le droit de l’urbanisme actuel, n’impose la réalisation effective. Il n’est en effet pas rare que des décisions de préemption n’aboutissent jamais à la réalisation du projet invoqué. Exiger que le titulaire du droit de préemption puisse justifier d’un projet préexistant permet de limiter certains abus. Ne plus l’exiger permet de faire de l’invocation d’un projet de logements sociaux une espèce de motivation universelle.

    De même, un projet de construction n’a « par nature » aucun objet précis. Comme le dit Giraudoux, « jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité ». Cette conception essentialiste d’un projet va se heurter de surcroît à de grandes difficultés d’application : A partir de combien de logements, un projet aura-t-il le caractère d’une action ou d’une opération d’aménagement, ce nombre doit-il tenir compte de la population du titulaire du droit de préemption, doit-il tenir compte de la structure du marché de l’habitation local…

    L’affaire a été renvoyée par le Conseil d’Etat à la cour administrative d’appel. Peut-être donnera-t-elle plus de précisions en la matière.

     

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public

     

  • DU NOUVEAU EN MATIERE DE D.I.A. : Attention aux délais allongés (II)

    II) La demande de visite du bien objet de la vente

    Le 4eme alinéa de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme prévoit que :

    « Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. »

    visite.jpgJusqu’à présent, la visite du bien en vente n’était pas encadrée.

    Il arrivait que le service des domaines, saisi pour donner son avis sur la valeur du bien, demande à visiter le bien. Une telle visite n’avait cependant rien d’obligatoire.

    De même, il arrivait que le titulaire du droit de préemption demande aussi à visiter le bien.

    Ces visites n’étaient pas encadrées. Le vendeur pouvait alors hésiter entre coopération, refus catégorique de laisser entrer chez lui des visiteurs porteur d’une menace de préemption, ou tentative de gagner du temps.

    Le nouveau dispositif n’impose toujours aucune visite du bien. Il est d’ailleurs vraisemblable qu’imposer une telle visite eut encouru un risque de censure de la part du Conseil constitutionnel, l’atteinte au domicile n’étant ni autorisée par une autorité judiciaire ni justifiée (décision 76-75 DC du 12 janvier 1977).

    En revanche, le nouveau dispositif encadre le calendrier de visite, ou de non visite du bien. Il ne permet plus au propriétaire de jouer la montre en espérant que le titulaire du droit de préemption sera hors délai pour préempter.

    Ce nouveau dispositif est encadré de façon minutieuse par le décret n° 2014-1573 du 22 décembre 2014 fixant les conditions de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption en application de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme.

    Le nouvel article D. 213-13-1 du code de l’urbanisme  précise que :

    « La demande de la visite du bien prévue à l'article L. 213-2 est faite par écrit. 

    Elle est notifiée par le titulaire du droit de préemption au propriétaire ou à son mandataire ainsi qu'au notaire mentionnés dans la déclaration prévue au même article, dans les conditions fixées à l'article R. 213-25 » (c'est-à-dire par lettre recommandée avec accusé de réception, par acte d’huissier, par dépôt contre décharge ou par voie électronique).

     Ensuite, le décret du 22 décembre 2014 distingue en fonction de l’acceptation ou du refus de visite par le propriétaire.

    L’article D. 213-13-3 du code de l’urbanisme encadre ainsi le refus de visite :

    « Le propriétaire peut refuser la visite du bien. 

    Le refus est notifié au titulaire du droit de préemption dans les conditions prévues à l'article R. 213-25 et dans le délai de huit jours à compter de la date de réception de la demande de visite. En l'absence de réponse dans ce délai, le refus est tacite. »

    Le vendeur n’a aucune justification à donner en cas de refus. Il peut refuser explicitement ou implicitement la visite. Le pouvoir réglementaire a pris le soin de prévoir un délai très court de refus implicite (8 jours), évitant ainsi que, comme en matière de non communication des documents demandés, la vente ne puisse être suspendue pour une longue période.

    L’article D. 213-13-2 du code de l’urbanisme encadre lui l’acceptation de la visite :

    « L'acceptation de la visite par le propriétaire est écrite. 

    Elle est notifiée au titulaire du droit de préemption dans les conditions prévues à l'article R. 213-25 et dans le délai de huit jours à compter de la date de réception de la demande de visite. 

    La visite du bien se déroule dans le délai de quinze jours calendaires à compter de la date de la réception de l'acceptation de la visite, en dehors des samedis, dimanches et jours fériés. 

    Le propriétaire, son mandataire ou le notaire est tenu d'informer de l'acceptation de la visite les occupants de l'immeuble mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner. 

    Un constat contradictoire précisant la date de visite et les noms et qualité des personnes présentes est établi le jour de la visite et signé par le propriétaire ou son représentant et par le titulaire du droit de préemption ou une personne mandatée par ce dernier. 

    L'absence de visite dans le délai prévu au troisième alinéa vaut soit refus de visite, soit renonciation à la demande de visite. Dans ce cas, le délai suspendu en application du quatrième alinéa de l'article L. 213-2 reprend son cours. »

    Cet article prend le soin de préciser la période de visite du bien, dans les 15 jours calendaires à compter de l’acceptation de la visite.

    Il prend aussi soin, de manière bienvenue, de prévoir l’hypothèse d’une absence de visite, soit que le vendeur se ravise, soit que le titulaire du droit de préemption soit négligent. Une telle situation fait reprendre le délai interrompu.

    Enfin, comme en matière de communication de documents, le 4eme alinéa de l’article L. 213-4 précise que le délai de préemption « reprend à compter (…) du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. »

    Ce mécanisme d’encadrement de visite a pour effet d’allonger le délai laissé au titulaire du droit de préemption pour exercer son droit. Il est quasi certain que ce sera toujours dans le deuxième mois que le titulaire du droit de préemption demandera à visiter le bien. En conséquence, le délai peut être porté au maximum à trois mois et une semaine en cas de refus de visite et à trois mois et trois semaines en cas d’acceptation.

    Ainsi, dans certain cas, le délai à prévoir pour permettre l’exercice - éventuel- du droit de préemption est quasiment doublé. Paradoxalement, l’intérêt du vendeur pressé est de refuser explicitement la visite, dès la réception de la demande. Même dans cette hypothèse, le délai d’exercice du droit de préemption sera allongé d’environ un mois.

     

    Les dispositions nouvelles de la loi ALUR en la matière, tout comme les deux décrets du 22 décembre 2014 vont permettre aux titulaires du droit de préemption d’avoir une connaissance plus précise des biens qu’ils envisagent de préempter. C’est une bonne chose, tant pour l’intérêt général que dans l’intérêt du vendeur.

    Pour autant, il est certain que l’allongement du délai de préemption a pour effet mécanique de retarder les transactions, retardant ainsi la réalisation des projets des acheteurs, ce qui est antinomique avec l’un des objectifs de la loi ALUR de favoriser le développement de l’offre de construction.

    Il est aussi à craindre que, dans certains cas, l’allongement du délai ne puisse constituer un moyen de pression sur le vendeur.

    Benoît JORION

    Avocat à la Cour d’appel de Paris

    Spécialiste en droit public