préemption

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droit de préemption - Page 23

  • A qui adresser la DIA ?

    Cour de cassation, civ. 3eme, 10 mai 2007, Epoux Z. c/ département des côtes d’Armor

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    Extrait : « Attendu que les époux Le Z... font grief à l'arrêt d'annuler la vente, alors, selon le moyen, que lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière a l'obligation de la transmettre à l'autorité administrative compétente, si bien qu'en jugeant le droit de préemption non purgé après avoir constaté que la commune de Trélevern avait été destinataire de la déclaration d'intention d'aliéner adressée par le notaire instrumentaire préalablement à la vente annulée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 20 de la loi du 12 avril 2000 ;

    Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que le notaire avait adressé à la commune une déclaration d'intention d'aliéner visant le droit de préemption urbain et n'avait en revanche envoyé aucune déclaration d’intention d'aliéner des immeubles compris dans une zone de préemption au titre des espaces naturels sensibles des départements, la cour d'appel, qui a retenu à bon droit que l'envoi de ce document à l'autorité administrative compétente pour le recevoir et exercer un éventuel droit de préemption de ce chef ne pouvait obliger cette autorité à transmettre la déclaration au président du conseil général, en a exactement déduit que les dispositions de l'article 20 de la loi du 12 avril 2000 n'étaient pas applicables ; »


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    Commentaire : Lorsqu’un immeuble peut être préempté par un département au titre des espaces naturels sensibles, la déclaration d’intention d’aliéner, visant le droit de préemption urbain, ne peut être adressée à la commune sur laquelle le bien se trouve.

    Faute d’avoir été informé du projet d’aliénation d’un immeuble situé dans une zone classée espace naturel sensible, le département des Côtes d’Armor a fait annuler la vente. L’acheteur faisait notamment valoir qu’une déclaration d’intention d’aliéner avait bien été envoyée, mais à la commune, et que l’article 20 de la loi du 12 avril 2000, selon lequel une demande adressée à une autorité incompétente doit être transmise par cette dernière à l’autorité compétente, était applicable.

    La Cour de cassation rejette ce moyen estimant la loi du 12 avril 2000 inapplicable. Une telle loi fait donc bien peser une obligation sur l'autorité incompétemment saisie, mais elle n'exonère pas le vendeur de ses obligations de déclaration. Il convient donc pour ce dernier d’être attentif et d'envoyer autant de déclarations d’intention d’aliéner qu’il existe de droits de préemption applicables sur son bien.

    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d'appel de Paris,
    spécialiste en droit public

  • Il faut proposer le bien à l'acquéreur évincé

    Cour administrative d’appel de Paris 23 novembre 2006, Ville de Paris c/ Société AVI, req. n° 05 04 012

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    Extrait :"Considérant que selon l'article L. 911-4 du code de justice administrative : « En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution. Toutefois, en cas d'inexécution d'un jugement frappé d'appel, la demande d'exécution est adressée à la juridiction d'appel. » ; qu'aux termes de l'article L. 911-1 dudit code : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. » ;

    Considérant que l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de l'acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d'exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n'ayant jamais décidé de préempter ; qu'ainsi cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l'intérêt général appréciée au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le titulaire du droit de préemption, s'il n'a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne tout mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée ; qu'il lui appartient à cet égard, et avant toute autre mesure, de s'abstenir de revendre à un tiers le bien illégalement préempté ; qu'il doit en outre proposer à l'acquéreur évincé puis, le cas échéant, au propriétaire initial, d'acquérir le bien, et ce, à un prix visant à rétablir en l'espèce les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle ;

    Considérant que la VILLE DE PARIS soutient avoir effectué l'ensemble des diligences nécessaires à l'exécution du jugement du 28 juillet 2005 ; qu'elle établit avoir payé à la société AVI la somme de 1 000 euros que le Tribunal administratif de Paris avait mise à sa charge et qu'elle a ainsi exécuté l'article 2 du jugement ; que, s'agissant des conséquences à tirer de l'annulation de la décision du 23 décembre 2003, la VILLE DE PARIS fait valoir qu'elle ne devait pas obligatoirement proposer l'acquisition à la société AVI puisque la promesse de vente conclue entre Mme Bohère et cette société était devenue caduque depuis le 30 décembre 2003, cette promesse de vente comportant une clause prévoyant une déchéance si le bénéficiaire n'avait pas signé l'acte d'acquisition à cette date ; que toutefois, en admettant qu'une telle clause puisse avoir pour effet de mettre fin aux obligations que la promesse de vente impose aux parties, elle ne fait pas obstacle à ce que, en cas d'annulation de la décision de préemption qui, en l'espèce, a été seule à empêcher la poursuite de la vente, le bien soit proposé à l'acquéreur évincé ; que, dès lors, la VILLE DE PARIS, qui n'a pas proposé l'acquisition du bien préempté illégalement à la société AVI ainsi qu'elle y était tenue, n'a pas entièrement exécuté le jugement susvisé du Tribunal administratif de Paris ;

    Considérant que la VILLE DE PARIS fait valoir qu'elle a conféré à la Régie Immobilière de la Ville de Paris des droits réels sur le bien préempté, par un bail emphytéotique conclu le 11 avril 2005 ; que, par une délibération des 12, 13 et 14 décembre, elle a voté l'octroi de subventions pour l'opération ; que la Régie est sur le point de désigner les entreprises de travaux et que la revente aurait des conséquences pour les locataires en place ; que toutefois, la société AVI établit que les travaux n'ont pas débuté ; qu'il n'apparaît pas que la subvention accordée pour la réalisation de l'opération ait été dépensée non plus qu'il ne résulte de l'instruction que la cession à la société AVI aurait des conséquences pour les locataires en place ; que, par suite la VILLE DE PARIS n'est pas fondée à soutenir que, dans les circonstances de l'espèce, la revente du bien porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ;

    Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu pour la cour de faire injonction à la commune de proposer à la société AVI l'acquisition du bien illégalement préempté au prix mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner ; qu'il convient, compte tenu des circonstances de l'affaire, de prononcer contre la VILLE DE PARIS, à défaut pour elle de justifier de l'exécution de ces mesures dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 200 euros par jour de retard".


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    Commentaire : L’annulation par le juge administratif d’une décision de préemption prise par une personne publique a pour conséquence que cette décision est censée n’avoir jamais existé. En conséquence, le bien préempté doit être proposé à l’acquéreur évincé, puis, le cas échéant au propriétaire initial au prix figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner. Les exceptions à cette conséquence sont appréciées de façon rigoureuse par le juge administratif.

    Le Tribunal administratif de Paris avait précédemment annulé une décision de préemption du Maire de Paris en raison de son insuffisance de motivation. En guise d’exécution de ce jugement, la Ville de Paris s’est contentée de verser les frais irrépétibles auxquels elle avait été condamnée. En revanche, elle n’a pris aucune autre mesure d’exécution.

    En appel, la Cour administrative d’appel de Paris, a repris le considérant de principe posé par l’arrêt Bour (CE, Sect. 26 février 2003, Bour, rec. p. 59). Elle donne une illustration concrète de l’examen auquel le juge doit se livrer afin de déterminer s’il peut être fait exception au principe selon lequel le bien illégalement préempté doit être proposé à l’acquéreur évincé.

    La Ville de Paris avait soulevé divers moyens pour ne pas le faire. Son moyen tiré de la caducité de la promesse de vente est écarté sans difficulté, cette caducité ne faisant pas obstacle à ce que les parties poursuivent la vente. La Ville de Paris soutenait surtout qu’elle avait conclut un bail emphytéotique sur l’immeuble en cause, qu’elle avait décidé de la réalisation de travaux et que la revente du bien aurait des conséquences sur les locataires en place. La Cour a rejeté ces différents moyens, estimant que les travaux n’avaient pas commencé, que la subvention accordée pour réaliser l’opération n’avait pas été dépensée et qu’il ne résultait pas du dossier que la cession à l’acquéreur aurait des conséquences pour les locataires en place.

    En conséquence, la Cour a enjoint la Ville de Paris, sous astreinte, de proposer l’immeuble à l’acquéreur, ceci au prix mentionné dans la déclaration d’intention d’aliéner, c'est-à-dire au prix défini quatre ans auparavant.
    Avec cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Paris contribue à démontrer, dans la lignée de l’arrêt Bour, que les hypothèses pour lesquelles l’annulation d’une décision de préemption resterait sans conséquence sur le bien illégalement préempté constituent des exceptions et doivent donc rester exceptionnelles.

    Benoît JORION
    Avocat à la Cour d’appel de Paris
    Spécialiste en droit public

  • Condition d'urgence et clause de caducité

    Conseil d’Etat 31 mai 2007 SCI Russie, req. n° 298545, a paraître aux tables du recueil Lebon

    Extrait : « Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 5211 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision ou de certains effets de celleci, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

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    Considérant que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté pour défaut d'urgence la demande de la SCI RUSSIE qui tendait à la suspension de l'arrêté du maire de Nice en date du 23 août 2006 décidant d'exercer le droit de préemption de la commune en vue d'acquérir un immeuble sis ... à Nice, pour l'achat duquel la SCI avait signé le 10 avril 2006 une promesse de vente avec le propriétaire de ce bien ; que, pour estimer que la condition d'urgence n'était pas remplie, le juge des référés s'est fondé sur la circonstance que le délai pour la réalisation de l'acte authentique expirait le 31 juillet 2006, que la promesse de vente comportait une clause de caducité au cas où le bénéficiaire du droit de préemption déciderait d'exercer ce droit et que la SCI RUSSIE ne justifiait pas d'une prorogation de la promesse de vente ;

    Considérant toutefois que la circonstance que la promesse de vente comporterait une clause de caducité dont le délai est atteint ou dont la mise en oeuvre résulterait de l'exercice par la commune de son droit de préemption n'est pas de nature, par elle-même, à priver de tout caractère d'urgence la suspension de la décision de préemption, cette clause ne faisant pas obstacle à ce que, d'un commun accord, les parties donnent suite aux engagements contenus dans la promesse au-delà du délai prévu ; qu'il peut ainsi subsister pour l'acquéreur évincé une urgence à obtenir la suspension de la décision de préemption ; que, par suite, l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de droit et doit, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulée ;
    »


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    Commentaire : les compromis et promesses de vente incluent traditionnellement une clause de caducité dans l’hypothèse de préemption du bien. Le simple exercice du droit de préemption conduit d’ailleurs la plupart du temps à dépasser la date limite prévue pour la transaction. Dès lors, la préemption délie le vendeur et l’acheteur de leurs obligations l’un vis-à-vis de l’autre.

    Pour autant, l’acheteur évincé à intérêt à agir pour contester la décision de préemption. La question posée en l’espèce était de savoir si ce type de clause fait disparaître l’urgence pour l’acheteur à demander la suspension de la décision de préemption.

    En première instance, le Tribunal administratif de Nice y a apporté une réponse positive. Le Conseil d’Etat casse cette ordonnance et pose que ce type de clause « n'est pas de nature, par elle-même, à priver de tout caractère d'urgence la suspension de la décision de préemption ». En effet, de façon parfaitement réaliste, le Conseil d’Etat souligne que cette clause ne fait pas obstacle à ce que, « d'un commun accord, les parties donnent suite aux engagements contenus dans la promesse au-delà du délai prévu ; qu'il peut ainsi subsister pour l'acquéreur évincé une urgence à obtenir la suspension de la décision de préemption ». On peut d’ailleurs souligner que le seul fait que l’acheteur demande la suspension manifeste son intérêt persistant pour le bien préempté.

    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d'appel de Paris,
    spécialiste en droit public

  • Dix questions sur le droit de préemption

    Il m'a semblé utile, en 10 questions et 10 réponses, traitées de façon volontairement synthétique, d'aborder les grands principes des décisions de préemption prises par les personnes publiques.

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    1) Qu’est ce que le droit de préemption ?

    Un vendeur et un acheteur se sont entendus sur la vente d’un bien immobilier. Un compromis ou une promesse de vente a été conclu. Une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) a alors été adressée à la mairie. Dans les deux mois la commune, ou ceux qu’elle aura délégué dans son droit de préemption (communautés de communes, sociétés d’économie mixte…), va intervenir et préempter le bien.

    Ainsi, entre l’acheteur et le vendeur, un tiers vient s’immiscer. Il va écarter l’acheteur et pouvoir conclure la vente à son profit. Cette prérogative de puissance publique est justifiée par l’existence d’un intérêt général poursuivi par le titulaire du droit de préemption. Cet intérêt général en constitue la justification mais aussi la limite. La préemption se distingue de l’expropriation du fait de la volonté initiale du propriétaire de vendre son bien.

    2) Le droit de préemption permet-il de préempter pour n’importe quelle raison ?

    Non. Les hypothèses pour lesquelles la préemption est possible sont nombreuses. Elles sont visées par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme et concernent notamment la politique locale de l’habitat, les activités économiques, la réalisation d’équipements collectifs… Le législateur a tendance à ajouter régulièrement de nouveaux cas.

    Toutefois, la préemption ne peut viser qu’un des cas prévus par la loi. Par exemple, la lutte contre la « spéculation immobilière » n’entre pas dans ces hypothèses. De surcroît, il ne suffit pas d’invoquer un objectif légal pour qu’une décision de préemption soit effectivement légale. Encore faut-il que l’objectif invoqué soit réel et corresponde à un vrai projet.

    3) La préemption peut-elle se faire à un prix inférieur à celui du compromis de vente ?

    Oui. Lorsque la préemption porte sur un bien dont la valeur est supérieure à un prix fixé par arrêté (75.000 euros depuis un arrêté du 17 décembre 2001), il est obligatoire de demander une évaluation au service des domaines, qui est un service de l’Etat. Toutefois, le titulaire du droit de préemption n’est tenu ni par cet avis, ni par le prix du compromis de vente. Dès lors, il est parfaitement possible que la préemption se fasse à un prix inférieur à celui librement déterminé entre l’acheteur et le vendeur. Certaines communes n’hésitent d’ailleurs pas à préempter à un prix très inférieur à celui du marché pour intimider le vendeur et mieux faire pression sur lui.

    4) Quels sont les recours possibles contre une décision de préemption ?

    Une décision de préemption, comme toute décision administrative, peut être contestée devant le tribunal administratif territorialement compétent. Ce dernier peut annuler la décision de préemption, c'est-à-dire la faire disparaître rétroactivement, rendant ainsi toute liberté au vendeur. Par ses effets, c’est incontestablement le recours le plus efficace.

    Il est possible aussi, en fonction des circonstances de chaque espèce, d’engager une action en référé afin d’obtenir la suspension de la décision de préemption et une action indemnitaire afin d’indemniser le préjudice subi.

    5) A qui faut-il s’adresser pour contester une décision de préemption ?

    Certains proposent d’obtenir une réévaluation du prix du bien préempté. Outre qu’ils ne présentent pas nécessairement des garanties professionnelles suffisantes, ils offrent un service limité. En effet, ces officines négligent systématiquement ce qui constitue le recours le plus efficace : l’annulation de la décision de préemption elle-même. Ainsi, aucune solution n’est proposée à l’acquéreur évincé et une solution seulement partielle au vendeur préempté.

    C’est bien d’augmenter le prix perçu par le vendeur. C’est mieux de lui permettre de vendre son bien au prix initialement fixé et en plus, le cas échéant, de lui permettre d’être indemnisé. Seul un avocat spécialisé peut proposer une solution complète et fiable en fonction des attentes de chaque justiciable et des circonstances de chaque espèce.

    6) Combien de temps prend la contestation d’une décision de préemption ?


    Le seul fait pour une commune de préempter, indépendamment de tout recours, conduit à un retard dans la réalisation de la vente et/ou à un retard dans le paiement du prix du bien. Paradoxalement, l’action en justice peut raccourcir ce délai. Ainsi, le seul fait d’engager une action en justice conduit assez souvent t le titulaire du droit de préemption à se rendre compte de l’illégalité de sa décision et à renoncer à la préemption. Hors cette hypothèse, il est possible d’obtenir en référé, en moins d’un mois, une suspension de la décision de préemption ce qui, d’après la jurisprudence, permet de conclure la transaction initialement prévue.

    7) Que peut faire le juge de l’expropriation

    Lorsque la préemption se fait à un prix inférieur à celui du compromis de vente, le titulaire du droit de préemption peut saisir le juge de l’expropriation. L’office de ce dernier est seulement de fixer le montant du prix auquel le bien pourra être acquis par le titulaire du droit de préemption. Le vendeur a intérêt à se défendre devant lui. Toutefois, du fait des règles qui sont imposées au juge de l’expropriation, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur de l’espérance du vendeur. Cependant, il faut savoir que, même après fixation d’un prix par le juge de l’expropriation, tant le titulaire du droit de préemption, que le vendeur peuvent renoncer à conclure la vente. C’est une garantie importante pour le vendeur.

    8) Un vendeur peut-il être indemnisé du préjudice qu’il a subi du fait d’une décision de préemption ?

    Oui. Lorsque la décision de préemption est illégale, le vendeur a en principe droit à être indemnisé de son préjudice. Trois grands types de préjudices sont indemnisables : le temps pendant lequel il n’a pas disposé du prix de la vente, l’éventuelle diminution du prix de la vente et les troubles de toutes natures qu’il a pu subir. Au regard des sommes en jeu, le montant des indemnisations peut parfois être assez important. Cela compense généralement largement les frais de procédure.

    9) Un acheteur évincé peut-il devenir propriétaire du bien en dépit de la préemption ?

    Oui. D’abord, l’acheteur peut parfaitement contester la décision de préemption devant le juge administratif, éventuellement sans le vendeur, et la faire annuler. Il n’est ainsi pas tenu par une éventuelle acceptation de la préemption par le vendeur. L’acheteur est même, en référé, dans une situation procédurale très favorisée.

    Par ailleurs, dans certaines hypothèses, l’acquéreur peut, même plusieurs années après la préemption, récupérer le bien dont il a été évincé. Il peut de surcroît espérer le faire dans des conditions financières très favorables.

    10) Quelles sont les chances de succès en cas de contestation d’une décision de préemption ?

    Elles sont grandes. Les décisions de préemption sont souvent illégales. Cela provient de ce que le titulaire du droit de préemption doit agir vite, tout en étant soumis à de multiples pressions. Certains élus considèrent que le droit de préemption sert à contrôler l’ensemble des mutations immobilières sur leur territoire pour écarter des acheteurs ou pour contrôler les prix. Ils prennent de ce fait, plus ou moins sciemment, des décisions illégales.

    De surcroît, le juge administratif, parfaitement conscient du caractère abusif de certaines décisions de préemption, exerce un contrôle exigeant sur ces dernières. Dès lors, les chances de succès d’un requérant contre une décision de préemption sont assez élevées. De plus, à défaut d’obtenir l’annulation d’une décision de préemption, le vendeur peut aussi espérer une augmentation du prix auquel le bien est préempté.

    Benoît Jorion, avocat à la Cour d’appel
    de Paris, spécialiste en droit public

  • L'indemnisation du vendeur préempté à tort

    CE 15 mai 2006 Commune de Fayet, req. n° 266495, à paraître au recueil Lebon

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    Extrait : « Considérant qu'à l'issue d'une procédure de préemption qui n'a pas abouti, le propriétaire du bien en cause peut, si la décision de préemption est entachée d'illégalité, obtenir réparation du préjudice qui lui a causé de façon directe et certaine cette illégalité ; que lorsque le propriétaire a cédé le bien après renonciation de la collectivité, son préjudice résulte en premier lieu, dès lors que les termes de la promesse de vente initiale faisaient apparaître que la réalisation de cette vente était probable, de la différence entre le prix figurant dans cet acte et la valeur vénale du bien à la date de la décision de renonciation ; que pour l'évaluation de ce préjudice, le prix de vente effectif peut être regardé comme exprimant cette valeur vénale si un délai raisonnable sépare la vente de la renonciation, eu égard aux diligences effectuées par le vendeur, et sous réserve que ce prix de vente ne s'écarte pas anormalement de cette valeur vénale ;

    Considérant que le propriétaire placé dans la situation indiquée ci-dessus subit un autre préjudice qui résulte, lorsque la vente initiale était suffisamment probable, de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de disposer du prix figurant dans la promesse de vente entre la date de cession prévue par cet acte et la date de vente effective, dès lors que cette dernière a eu lieu dans un délai raisonnable après la renonciation de la collectivité ; qu'en revanche, lorsque la vente a eu lieu dans un délai ne correspondant pas aux diligences attendues d'un propriétaire désireux de vendre rapidement son bien, quelles qu'en soient les raisons, le terme à prendre en compte pour l'évaluation de ce préjudice doit être fixé à la date de la décision de renonciation
    ».

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    Commentaire : Cet arrêt présente l’intérêt de synthétiser la jurisprudence antérieure en posant des règles claires d’indemnisation du préjudice subi par le vendeur en cas d’abandon d’une décision de préemption illégale. Il rappelle que, dans certaines conditions, le vendeur a droit à être indemnisé, d’une part, de la différence entre le prix figurant dans la promesse de vente et le prix de vente effectif et, d’autre part, de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de disposer du prix figurant dans la promesse de vente entre la date de cession prévue par cet acte et la date de vente effective.

    Par certains côtés, cet arrêt élargit le droit à indemnisation, notamment au regard de l’impossibilité pour le vendeur de disposer du montant de la vente. Par d’autres côtés, il le réduit en posant le principe du « délai raisonnable » dans lequel doit intervenir la vente après renonciation à préemption.

    Cet arrêt fixe donc des principes clairs à destination des juridictions du fond en matière d’indemnisation du préjudice subi du fait de l’abandon par une collectivité publique d’une décision de préemption illégale. Il a aussi vocation à inspirer la jurisprudence dans les hypothèses d’acquisition du bien par le titulaire du droit de préemption ou de retard de la vente du fait de la renonciation du propriétaire après préemption suivie d’une nouvelle vente à un prix inférieur. En effet, dans ces deux hypothèses, le vendeur peut subir à la fois une perte d’argent et une perte de temps.

    Benoît Jorion, avocat à la Cour d’appel
    de Paris, spécialiste en droit public