préemption

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  • Les innovations de la loi Boutin en matière de droit de préemption

    La loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion défendue au Parlement par Madame Boutin est à l’origine de trois innovations en matière de droit de préemption.

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    En premier lieu, son article 34 modifie l’article L. 211-4 du code de l’urbanisme. Cet article faisait échapper au droit de préemption urbain un certain nombre d’aliénations de biens, dont « la cession de la totalité des parts d'une société civile immobilière, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non, dont la cession serait soumise au droit de préemption. »

    Cet article permettait ainsi de contourner l’applicabilité du droit de préemption en cédant en deux fois les parts d’un bien appartenant à une SCI. Désormais, ce n’est plus la cession de la totalité des parts, mais la cession de la majorité des parts qui échappe au droit de préemption urbain non renforcé.

    La loi du 25 mars a cependant précisé que « Le présent alinéa ne s'applique pas aux sociétés civiles immobilières constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus. »

    Une SCI permet donc toujours, dans certaines hypothèses, de faire échapper un bien immobilier au droit de préemption.

    En deuxième lieu, l’article 39 de la loi, dans son II, abroge le f de l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme. Cet article prévoyait que certains biens n’étaient jamais soumis au droit de préemption, parmi lesquels « Pendant la durée d'application d'un arrêté préfectoral pris sur le fondement de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, l'aliénation d'un immeuble ou d'un terrain destiné à être affecté à une opération ayant fait l'objet de la convention prévue au même article ».

    Cette exception est désormais abrogée.

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    En troisième lieu, et c’est le plus important, le I de l’article 39 de la loi ajoute un nouvel alinéa après le premier alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, selon lequel :

    « Pendant la durée d'application d'un arrêté préfectoral pris sur le fondement de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, le droit de préemption est exercé par le représentant de l'Etat dans le département lorsque l'aliénation porte sur un terrain, bâti ou non bâti, affecté au logement ou destiné à être affecté à une opération ayant fait l'objet de la convention prévue à l'article L. 302-9-1 précité. Le représentant de l'Etat peut déléguer ce droit à un établissement public foncier créé en application de l'article L. 321-1 du présent code, à une société d'économie mixte ou à un des organismes d'habitations à loyer modéré prévus par l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation. Les biens acquis par exercice du droit de préemption en application du présent alinéa doivent être utilisés en vue de la réalisation d'opérations d'aménagement ou de construction permettant la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l'habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l'article L. 302-8 du même code. »

    Cette disposition vise les communes ayant fait l’objet d’un arrêté préfectoral de carence en raison de la trop faible proportion de logements sociaux sur leur territoire. Dans cette hypothèse, le droit de préemption peut désormais être exercé par le préfet lorsque l'aliénation porte sur un terrain, bâti ou non bâti, affecté au logement ou destiné à être affecté à une opération ayant fait l'objet d’une convention avec un organisme.

    Cet article procède donc à une recentralisation du droit de préemption qui, depuis que le droit de préemption urbain a largement remplacé le droit de préemption en ZAD, était pour l’essentiel confié aux collectivités locales.

    Cet article prévoit aussi la possibilité pour le préfet de déléguer sa compétence.

    Les biens préemptés à ce titre ne bénéficient pas de la même latitude d’utilisation que les biens préemptés de façon plus classique, puisqu’ils ne peuvent être utilisés qu’en vue de la réalisation d'opérations d'aménagement ou de construction permettant la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l'habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l'article L. 302-8 du même code. Il peut cependant être précisé qu’un programme local de l’habitat peut poursuivre de nombreux objectifs.

    Enfin, il peut être précisé que le III de l’article 39 a prévu que le troisième alinéa de l'article L. 211-1 du même code était complété par une phrase ainsi rédigée :

    « Toutefois, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article L. 210-1, le droit de préemption peut être institué ou rétabli par arrêté du représentant de l'Etat dans le département. »

    Le législateur a voulu ainsi permettre aux préfets d’imposer la réalisation de logements sociaux, au moyen du droit de préemption, même dans les communes n’ayant pas institué, ou ayant supprimé, ce droit sur leur territoire.

    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris
    Spécialiste en droit public



  • Le prix de rétrocession d'un bien illégalement préempté

    Conseil d’Etat, 31 décembre 2008, P.D.S.M. c/ Commune de Trappes, req. n° 293853

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    Extrait : «Considérant que l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de l'acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d'exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n'ayant jamais décidé de préempter ; qu'ainsi, cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l'intérêt général appréciée au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le titulaire du droit de préemption, s'il n'a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée ; qu’à ce titre, et en l’absence de transaction, qu’il est loisible à la collectivité publique concernée de conclure avec l’acquéreur évincé en vue de déterminer les conditions de la cession du bien ou de la renonciation de ce dernier à tout droit sur ce bien et, le cas échéant, de réparer les préjudices que la décision de préemption illégale a pu lui causer, il appartient au titulaire du droit de préemption de proposer à l'acquéreur évincé puis, à défaut, au propriétaire initial d'acquérir le bien à un prix visant à rétablir autant que possible et sans enrichissement injustifié de l’une quelconque des parties les conditions de la cession à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle ;

    Considérant que le prix auquel la collectivité est tenue, le cas échéant, de proposer la cession du bien à l’acquéreur évincé doit, sur la base du prix mentionné dans la déclaration d’intention d’aliéner adressée au titulaire du droit de préemption, d’une part, et s’il y a lieu, être majoré du coût des travaux indispensables à la conservation du bien que la collectivité publique a supporté et de la variation de la valeur vénale du bien consécutive aux travaux utiles d’amélioration ou de démolition réalisés par la collectivité publique à la suite de la préemption litigieuse et, d’autre part, en cas de dégradation du bien, être diminué des dépenses que l’acquéreur devrait exposer pour remettre le bien dans l’état dans lequel il se trouvait initialement ; qu’en revanche, il n’y a pas lieu de tenir compte, dans la fixation de ce prix, des facteurs étrangers à la consistance et à l’état du bien qui ont modifié sa valeur vénale, notamment la modification des règles d’urbanisme qui lui sont applicables et les évolutions du marché immobilier postérieures à la décision de préemption
    ».

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    Commentaire : Quelle suite donner à l’annulation d’une décision de préemption ? Cette question continue à se poser en pratique et devant le juge administratif. Il faut, à la fois, veiller à donner un effet utile à une décision du juge administratif et veiller à la sécurité juridique de l’éventuel sous-acquéreur du bien préempté. Lorsque l’autorité qui a préempté illégalement un bien en est toujours propriétaire, elle peut se voir enjoindre de rétrocéder le bien. C’est l’apport de la jurisprudence Bour.

    La difficulté est alors de savoir à quel prix cette rétrocession doit avoir lieu. Le principe était celui de l’absence d’enrichissement sans cause. Avec la décision commentée, le Conseil d’Etat refuse, contrairement à la Cour administrative d’appel, qu’il soit tenu compte de la modification du classement du bien au regard des règles d’urbanisme, modification qui peut être à l’origine d’une importante modification de sa valeur.

    Mais le Conseil d’Etat va plus loin en réécrivant le considérant de principe de l’arrêt Bour. L’enrichissement « sans cause » est remplacé par l'enrichissement « injustifié ». Cet arrêt synthétise par ailleurs la jurisprudence antérieure relative à la prise en compte des travaux réalisés sur le bien, en l’enrichissant, voire en l’infléchissant, en visant les « travaux indispensables » et les « travaux utiles d’amélioration » ou de démolition, ainsi que l’éventuelle dégradation du bien. Cet arrêt rejette aussi explicitement les facteurs étrangers à la consistance et à l’état du bien qui ont pu modifier sa valeur vénale, tels que la modification des règles d’urbanisme et les évolutions du marché immobilier.

    Il convient cependant de regretter que le Conseil d’Etat ait visé comme prix de base de la rétrocession celui « mentionné dans la déclaration d’intention d’aliéner adressée au titulaire du droit de préemption ». En effet, dans certaines hypothèses, l’acquisition aura eu lieu à un prix inférieur à ce prix (préemption acceptée à un prix plus bas, éventuellement après intervention du juge judiciaire). Le titulaire du droit de préemption serait alors amené à proposer le bien à l’acquéreur évincé à un prix supérieur à celui auquel il l’a acquis, situation caractéristique d’un « enrichissement injustifié ». Il est à souhaiter que la jurisprudence nuance une telle solution.

    A noter aussi que cet arrêt encourage les parties à rechercher une transaction. Le Conseil d’Etat trace même les termes de l’accord : cession du bien ou renonciation à cession, d’une part, réparation des préjudices subis par l’acquéreur évincé, d’autre part.


    Benoît JORION
    Avocat à la Cour d’appel de Paris
    Spécialiste en droit public