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La responsabilité en matière de préemption - Page 3

  • Droit à indemnisation de l’acheteur illégalement évincé

    Conseil d’Etat 17 décembre 207 Commune de Montreuil, req. n° 304626, à paraître aux tables

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    Extrait : « Considérant que M. A a sollicité devant le juge des référés l'octroi d'une provision en réparation de divers préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision en date du 19 août 2000 par laquelle le maire de Montreuil avait exercé le droit de préemption de la commune sur un bien situé 9, rue Edouard Vaillant, pour l'acquisition duquel il indique avoir été le titulaire d'une promesse synallagmatique de vente ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise lui a alloué une provision d'un montant de 100 000 euros en réparation du seul préjudice économique résultant de l'obligation de verser des loyers pendant la période comprise entre la décision de préemption et son retrait, intervenu le 3 août 2004 ;

    Considérant qu'un acquéreur évincé par une décision de préemption illégale est en droit d'obtenir réparation des préjudices qui résultent pour lui, de façon directe et certaine, de cette décision ; que, toutefois, s'agissant de charges, telles que des loyers, qu'il n'aurait pas supportées s'il avait acquis l'immeuble en cause, il lui appartient non seulement d'établir qu'elles sont la conséquence directe et certaine de cette décision, sans notamment que s'interpose une décision de gestion qu'il aurait prise, mais encore de montrer, par exemple par la production d'un bilan financier approprié, en quoi et dans quelle mesure ces charges excèdent celles auxquelles l'acquisition du bien préempté l'auraient exposé ;

    Considérant qu'en tout état de cause, il résulte de l'instruction, en particulier d'un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 16 mars 2007, que c'est l'association déclarée ù Les Bâtisseurs musulmans de France », dont les statuts prévoient qu'elle dispose de ressources et dont M. A est le président et le trésorier, qui était titulaire, depuis un avenant du 31 mai 1997, d'un bail commercial pour l'occupation de l'immeuble qui a fait l'objet de la préemption litigieuse et que cette association était redevable à ce titre de loyers pour le montant indiqué par M. A ; qu'ainsi, celui-ci, qui n'a pas produit la promesse de vente et n'a pas justifié avoir réglé ces loyers sur ses deniers personnels ni être subrogé à l'association dans ses droits, n'établit pas en quoi il aurait lui-même subi un préjudice financier du fait de la décision de préemption ; que, dans ces conditions, l'existence de l'obligation pour la COMMUNE DE MONTREUIL de verser à M. A la somme de 100 000 euros en vue de l'indemniser d'un préjudice subi au titre du paiement de loyers ne revêt pas le caractère non sérieusement contestable auquel les dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative subordonnent l'octroi en référé d'une provision
    »

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    Commentaire : Cet arrêt de la fin 2007 marque le grand retour devant le Conseil d’Etat d’une commune qui a beaucoup fait pour la connaissance du droit de préemption, mais qui s’était fait plus discrète depuis quelques années devant les tribunaux.

    Cet arrêt est relatif à l’indemnisation de l’acquéreur évincé. En effet, ce dernier, définitivement ou temporairement privé de l’acquisition du bien préempté, peut estimer avoir subi un préjudice du fait de cette décision.

    Il faut tout de suite préciser que le Conseil d’Etat exige, ce qui est normal, que la décision de préemption soit illégale. Cette illégalité est donc la condition nécessaire à toute indemnisation.

    Il faut rappeler que jusqu’à présent, les juridictions administratives n’ont pas été très généreuses avec les acquéreurs évincés du fait d’une décision de préemption.

    Le meilleur exemple est celui d’un autre requérant qui a également beaucoup fait pour le droit de préemption, mais cette fois-ci bien involontairement, et qui n’a guère pu être indemnisé que des intérêts de l’argent immobilisé au titre de la promesse de vente et des troubles de toute nature subis (CE 3 février 2004 Epoux Bour, req. n° 00PA02593). En revanche, la demande d’indemnisation des frais d’architecte a été rejetée, de même que le préjudice financier consécutif à la charge de loyers ainsi qu'aux frais d'agence, de déménagement et d'installation liés à l'impossibilité d’installation.

    Lorsque l’acquéreur évincé est un professionnel qui se proposait de lotir le bien préempté, le juge administratif refuse généralement d’indemniser le bénéfice manqué en estimant que le projet était trop incertain et donc que le préjudice était éventuel (CAA Nantes 18 novembre 1993 CIA, req. n° 92NT00021). Il faut vraiment que l’autorisation d’urbanisme nécessaire ait déjà été obtenue pour que le bénéfice manqué puisse être indemnisé (CAA Bordeaux 24 avril 2006 SA Ranchère, req n° 02BX0280). Les dépenses d’études préalables peuvent aussi être indemnisées (CAA Paris 21 janvier 1997 Mme Michel, rec. p. 543).

    L’arrêt commenté pose un considérant de principe selon lequel « un acquéreur évincé par une décision de préemption illégale est en droit d'obtenir réparation des préjudices qui résultent pour lui, de façon directe et certaine, de cette décision ». Un tel considérant résume la jurisprudence antérieure. Il est posé en matière de référé-provision, ce qui peut être souligné. Ce principe est toutefois moins prétorien que celui posé par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Commune du Fayet relatif à l’indemnisation du vendeur préempté.

    Cet arrêt présente surtout un intérêt dans l’application pratique qui est faite de ce principe en matière de charges, telles que des loyers. Le Conseil d’Etat invite ainsi l’acquéreur évincé à établir un bilan financier approprié, indiquant en quoi les charges sont été, du fait de la préemption, supérieures à ce qu’elles auraient été en son absence. Il se montre ainsi plus sensible au bilan économique d’une opération immobilière qu’il ne l’était dans l’arrêt Bour précité. C’est un progrès, en dépit de la réserve mentale que manifeste la référence à l'interposition d'une décision de gestion.

    Toutefois, l’équivalant pour les acquéreurs évincés de l’arrêt Commune du Fayet reste certainement encore à venir.


    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris,
    Spécialiste en droit public

  • Préemption, droit de priorité et responsabilité

    Conseil d’Etat 10 juillet 2007, commune d’Ivry-sur-Seine, req. n° 294142

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    Extrait : « Considérant que l'article 30 de la loi du 13 juillet 1991 d'orientation pour la ville a institué en faveur des communes un droit de priorité sur tout projet de cession d'immeubles situés sur leur territoire et appartenant à l'Etat, aux entreprises publiques et à des établissements publics définis par décret ( ) ; que le deuxième alinéa de cet article dispose que Les personnes publiques énumérées à l'alinéa précédent sont tenues de notifier à la commune leur intention d'aliéner leurs immeubles et d'indiquer le prix de mise en vente, tel qu'il est estimé par le directeur des services fiscaux. Si la commune n'exerce pas son droit de priorité dans un délai de deux mois à compter de cette notification, l'aliénation est effectuée dans les conditions de droit commun ; que par lettre du 4 janvier 2006, le maire de la COMMUNE D'IVRY-SUR-SEINE a demandé au Premier ministre de prendre le décret d'application prévu par la disposition susmentionnée et, en tout état de cause, d'indemniser la commune du préjudice qu'elle avait subi, au motif que l'absence d'intervention de ce décret l'avait privée de la possibilité d'exercer le droit de priorité prévu à l'article 30 précité à l'occasion d'une opération d'acquisition de deux parcelles sises sur son territoire et appartenant à l'établissement public Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP) ;

    (…)

    Sur les conclusions à fin d'indemnité :

    (…)
    Considérant, en second lieu, que le fait pour l'Etat de s'être abstenu, pendant une durée de quinze ans, de prendre le décret auquel était subordonné l'exercice par les communes du droit de priorité institué par l'article 30 de la loi du 13 juillet 1991 à l'égard de tout projet de cession d'immeubles situés sur leur territoire et appartenant à des établissements publics, est constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité ; que, par suite, faute de pouvoir recourir à ce droit de priorité, qui lui aurait permis d'acquérir les parcelles en cause, avant toute mise sur le marché, au prix déterminé par le directeur des services fiscaux en vertu du deuxième alinéa de cet article 30, la COMMUNE D'IVRY-SUR-SEINE a subi un préjudice en faisant l'acquisition de ces biens à un prix supérieur résultant, dans le cadre de l'exercice de son droit de préemption, à celui fixé par le juge du tribunal de grande instance de Créteil le 8 décembre 2005 ;

    Considérant que si l'article 30 de la loi du 13 juillet 1991 renvoie au décret le soin de définir les établissements publics dont les cessions d'immeubles seraient susceptibles d'entrer dans le champ d'application du droit de priorité précité en faveur des communes, il ne fournit aucune indication sur la nature des établissements publics concernés et en particulier sur le point de savoir si des établissements autres que ceux de l'Etat devaient être inclus dans ce champ ; que, dans ces conditions, la carence fautive du gouvernement à prendre ce décret ne peut être regardée comme la seule raison pour laquelle la commune requérante, faute de pouvoir faire usage du droit de priorité, a fait usage du droit de préemption et acquis ces parcelles à un prix plus élevé ; qu'ainsi, un lien certain de causalité ne peut être établi entre la faute de l'administration et le préjudice subi par la commune ; que, par suite, les conclusions de cette dernière tendant à ce que l'Etat lui alloue une indemnité de 94 725,20 euros doivent être rejetées ;
    »

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    Commentaire : Même si cet arrêt a pour origine une décision de préemption exercée par la commune d’Ivry-sur-Seine sur des parcelles appartenant à une autre personne publique (l’Assistance publique des hôpitaux de Paris), il n’intéresse qu’indirectement le droit de préemption.

    La loi du 13 juillet 1991 d'orientation pour la ville (LOV) avait institué en faveur des communes un droit de priorité sur tout projet de cession d'immeubles situés sur leur territoire et appartenant à l'Etat, aux entreprises publiques et à des établissements publics. Cette loi prévoyait que les communes devaient se voir notifier l’intention d’aliéner ainsi que « le prix de mise en vente, tel qu'il est estimé par le directeur des services fiscaux ». Ce droit de priorité différait de la préemption notamment en ce qu’il s'exerçait avant la recherche d'un acheteur.

    Mais cette loi nécessitait un décret d’application, décret qui n’a jamais été adopté. Cette carence qui a duré 15 ans était incontestablement fautive, ainsi que le Conseil d’Etat l’a d’ailleurs reconnu dans cet arrêt. On peut préciser que ce droit de priorité est mort avant d’avoir vécu puisqu’il a été abrogé par la loi ENL du 13 juillet 2006.

    La commune d’Ivry-sur-Seine, faute de pouvoir utiliser son droit de priorité, a exercé son droit de préemption sur deux parcelles de l'APHP. Mais elle les a acquises à un prix supérieur à l’estimation des services fiscaux, ce prix ayant été réévalué, comme c’est souvent le cas, par le juge de l’expropriation.

    Elle a demandé à être indemnisé de son préjudice, résultant du surcoût payé, surcoût qu’elle a attribué à l’absence de décret d’application relatif au droit de priorité. Le Conseil d’Etat vient de rejeter cette demande, en posant que, si la carence à prendre ce décret était incontestablement fautive, le lien de causalité n’est pas établi. Le Conseil d’Etat considère en effet que le pouvoir réglementaire disposait d’une certaine latitude pour préciser quels établissements publics étaient concernés et notamment si les « établissements autres que ceux de l'Etat devaient être inclus dans ce champ ».

    En conséquence, le Conseil d’Etat estime que cette absence de décret d’application n’est pas la seule raison pour laquelle la commune d’Ivry a acquis les parcelles à un prix plus élevé.

    Il peut en effet être rappelé que si une décision de préemption doit, pour être légale, répondre à un certain nombre de critères, en revanche, la décision de recourir, ou de ne pas recourir, à la préemption relève largement de l’opportunité. Dès lors, tant l’exercice du droit de priorité, s’il avait été possible, que l’exercice du droit de préemption, ne sont jamais certains. Il est difficile dans ces conditions d’établir un lien de causalité incontestable lorsqu’un préjudice est invoqué dans un cas tel que celui soumis au Conseil d’Etat.

    Benoît Jorion
    Avocat à la Cour d’appel de Paris,
    Spécialiste en droit public

  • L'indemnisation du vendeur préempté à tort

    CE 15 mai 2006 Commune de Fayet, req. n° 266495, à paraître au recueil Lebon

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    Extrait : « Considérant qu'à l'issue d'une procédure de préemption qui n'a pas abouti, le propriétaire du bien en cause peut, si la décision de préemption est entachée d'illégalité, obtenir réparation du préjudice qui lui a causé de façon directe et certaine cette illégalité ; que lorsque le propriétaire a cédé le bien après renonciation de la collectivité, son préjudice résulte en premier lieu, dès lors que les termes de la promesse de vente initiale faisaient apparaître que la réalisation de cette vente était probable, de la différence entre le prix figurant dans cet acte et la valeur vénale du bien à la date de la décision de renonciation ; que pour l'évaluation de ce préjudice, le prix de vente effectif peut être regardé comme exprimant cette valeur vénale si un délai raisonnable sépare la vente de la renonciation, eu égard aux diligences effectuées par le vendeur, et sous réserve que ce prix de vente ne s'écarte pas anormalement de cette valeur vénale ;

    Considérant que le propriétaire placé dans la situation indiquée ci-dessus subit un autre préjudice qui résulte, lorsque la vente initiale était suffisamment probable, de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de disposer du prix figurant dans la promesse de vente entre la date de cession prévue par cet acte et la date de vente effective, dès lors que cette dernière a eu lieu dans un délai raisonnable après la renonciation de la collectivité ; qu'en revanche, lorsque la vente a eu lieu dans un délai ne correspondant pas aux diligences attendues d'un propriétaire désireux de vendre rapidement son bien, quelles qu'en soient les raisons, le terme à prendre en compte pour l'évaluation de ce préjudice doit être fixé à la date de la décision de renonciation
    ».

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    Commentaire : Cet arrêt présente l’intérêt de synthétiser la jurisprudence antérieure en posant des règles claires d’indemnisation du préjudice subi par le vendeur en cas d’abandon d’une décision de préemption illégale. Il rappelle que, dans certaines conditions, le vendeur a droit à être indemnisé, d’une part, de la différence entre le prix figurant dans la promesse de vente et le prix de vente effectif et, d’autre part, de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de disposer du prix figurant dans la promesse de vente entre la date de cession prévue par cet acte et la date de vente effective.

    Par certains côtés, cet arrêt élargit le droit à indemnisation, notamment au regard de l’impossibilité pour le vendeur de disposer du montant de la vente. Par d’autres côtés, il le réduit en posant le principe du « délai raisonnable » dans lequel doit intervenir la vente après renonciation à préemption.

    Cet arrêt fixe donc des principes clairs à destination des juridictions du fond en matière d’indemnisation du préjudice subi du fait de l’abandon par une collectivité publique d’une décision de préemption illégale. Il a aussi vocation à inspirer la jurisprudence dans les hypothèses d’acquisition du bien par le titulaire du droit de préemption ou de retard de la vente du fait de la renonciation du propriétaire après préemption suivie d’une nouvelle vente à un prix inférieur. En effet, dans ces deux hypothèses, le vendeur peut subir à la fois une perte d’argent et une perte de temps.

    Benoît Jorion, avocat à la Cour d’appel
    de Paris, spécialiste en droit public