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Demander l'avis du service des domaines reste obligatoire

Conseil d’Etat, 23 décembre 2014, Communauté urbaine Brest métropole océane, req. n° 364785, mentionné aux tables

Extrait

Salle du contentieux CE.jpg« 5. Considérant, en troisième lieu, que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie ;

6. Considérant que la consultation du service des domaines préalablement à l'exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit constitue une garantie tant pour ce dernier que pour l'auteur de la déclaration d'intention d'aliéner ; que les faits cités au point 4, souverainement constatés par la cour et non argués de dénaturation, devant être regardés comme ayant privé les intéressés d'une garantie, cette irrégularité est de nature à entacher la légalité des décisions de préemption du 3 octobre 2007 ; que ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant la cour et dont l'examen n'implique aucune nouvelle appréciation des circonstances de fait, doit être substitué au motif des arrêts attaqués retenant le caractère substantiel de l'irrégularité en cause, dont il justifie le dispositif ; »

 

ANALYSE

Brest.jpgLe Conseil d’Etat a adopté fin 2011 un arrêt Dantony (CE, Ass. 23 décembre 2011, rec. p. 649) qui a rebattu les règles applicables en matière de procédure administrative. Jusque-là, un vice de procédure préalable à un acte administratif pouvait conduire à l’annulation de cet acte si ce vice était considéré comme « substantiel ».

Avec l’arrêt Danthony, la règle a été assouplie, le Conseil d’Etat posant que « un vice n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. »

Une telle formulation, finement ciselée, a depuis été source d'incertitudes. Dans de nombreux cas, l’administration a tenté de sauver ses décisions entachées d’un vice de procédure en soutenant, soit que ce vice n’avait pas eu  d’influence sur le sens de la décision prise, soit qu’il n’avait pas privé les intéressés d'une garantie.

 

Il n’y avait pas de raison que le droit de préemption reste à l’écart de cette remise en perspective des vices de procédure et du caractère opérant de leur violation dans le contentieux administratif.

 

La consultation du service des domaines en a fourni l’occasion.

 

On sait que demander un avis aux domaines avant une décision de préemption est obligatoire (article R. 213-21 du Code de l'urbanisme) lorsque le prix de vente du bien est supérieur à 75.000 euros (arrêté du 17 décembre 2001) et que s'en abstenir  entache d’illégalité la décision de préemption (CE, 22 févr. 1995, Commune de Ville-la-Grand).

 

En l’espèce, la Cour administrative d’appel avait classiquement jugé que demander un tel avis constituait une formalité substantielle (CE 18 juin 2007 M. Philippe A. c/ Commune d’Antibes, req. n° 300320) et que, faute d’un tel avis, la procédure suivie par la Communauté urbaine de Brest était irrégulière.

 

La jurisprudence ayant abandonné ce critère d’analyse, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt, mais pour considérer aussitôt, par substitution de motif, que, au fond, la Cour avait bien jugé.

 

Pour cela, l’arrêt commenté reprend le considérant de principe de l’arrêt Danthony et pose que « la consultation du service des domaines préalablement à l'exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit constitue une garantie ». Le Conseil d’Etat justifie cette position en considérant que cette garantie vaut tant pour l’administration titulaire du droit de préemption, que pour le vendeur.

 

Que l’avis des domaines constitue une garantie pour l’administration, c’est incontestable, même si elle n’a aucune obligation de le suivre. Qu’il le soit pour le propriétaire préempté, c’est plus contestable, pour la même raison... De surcroît, l’avis n’est pas communicable, sauf dans le cadre d’une procédure contentieuse (et encore…).

 

L’avis des domaines reste donc obligatoire dans le cadre du processus de préemption. Cet arrêt constitue donc une intéressante illustration du Tout changer pour que rien ne change du prince Salina.


Benoît Jorion

Avocat à la Cour d’appel de Paris,

Spécialiste en droit public

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