Un (premier ?) exemple d’abus de préemption des fonds de commerce
Pas de « commerce exotique » à la place du resto étoilé par Julien Heyligen
mercredi 09 juillet 2008 | Le Parisien
Extraits :
« La mairie préempte les Armes de France pour éviter que cette table réputée ne soit transformée en restaurant indien. Une première en Essonne.
LE POULET tikka ne remplacera pas le célèbre oeuf mollet en croûte de cèpe dans les assiettes des Armes de France. Fermé depuis huit mois ce restaurant haut de gamme, situé à Corbeil-Essonnes, devait devenir un établissement de spécialités indo-pakistanaises.
Mais il a été finalement préempté pour 120 000 € lundi soir par la ville, lors d'un conseil municipal.
Une première en Essonne, qui fait suite à un article de la loi Dutreil. Entré en vigueur en décembre dernier, celui-ci autorise les communes à être prioritaires pour acquérir des fonds de commerce et maintenir une diversité des enseignes.
« Il y a assez de restaurants étrangers par rapport aux restaurants français », résume, maladroitement, Jean-Luc Raymond, adjoint au maire et... patron du Coq hardi, autre table fameuse de la commune.
« Les Armes de France sont une adresse et un lieu prestigieux »
La mairie justifie cette décision après avoir constaté qu'« en matière de commerces de bouche le centre-ville de Corbeil était majoritairement occupé par des commerces de vente à emporter à dominante exotique ».
En résumé, trop de kebabs et pas assez de blanquettes de veau. La formulation « exotique » a fait bondir l'opposition. « Qu'entendez-vous par ce mot ? Je suis interloqué. Je vais l'envoyer à tous les restaurateurs de la commune ! » s'indigne Carlos Da Silva, conseiller municipal PS. « Si vous étiez habitué des guides gastronomiques, vous verriez que cela désigne simplement une cuisine qui n'est pas française et traditionnelle », réplique Jean-Luc Raymond. Le maire UMP, Serge Dassault, compréhensif, décide de retirer le mot de la délibération et coupe court à la polémique. « Nous entendons juste garder la qualité gastronomique extraordinaire des Armes de France », précise-t-il. Et d'ajouter, dans un sourire : « Vous savez, j'adore manger chinois. »
« Légalement, ils ont parfaitement le droit d'agir comme cela, décrypte Fabrice Maréchal, spécialiste de droit de préemption à la chambre de commerce de l'Essonne. L'objectif est de pouvoir préserver une diversité. Par exemple, un charcutier ferme, la mairie peut décider d'en remettre un. A l'inverse, s'il y a quinze banques et qu'une ferme, il est possible d'en changer l'orientation commerciale. » Et maintenant ? « Les Armes de France sont une adresse et un lieu prestigieux, qui possède une bonne image. Les repreneurs devraient être nombreux », assure-t-on à l'hôtel de ville de Corbeil.
A condition d'être chef en gastronomie française. Et tant pis pour les amateurs de riz basmati. »
Commentaire :
Ce qui pouvait être prédit sans trop de risque se réalise : la préemption des fonds de commerce, désormais possible, donne lieu aux mêmes abus que la préemption des biens immobiliers.
Cet article du Parisien en donne une intéressante illustration. Il s’agit pour la commune de préempter pour éviter l’installation d’un commerce qui n‘est pas souhaité, en l’occurrence un restaurant « exotique », en remplacement d’un restaurant traditionnel.
En matière de préemption des biens immobiliers, on sait qu’il est illégal de préempter à seule fin d’empêcher un acquéreur donné de s’installer (Cf. ma note du 19 juillet 2007). La difficulté est ici qu’il s’agit de préemption de fonds de commerce pour laquelle la loi parle de « sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité ». Il doit donc être possible de tenir compte du commerce implanté par rapport au commerce qu’il remplace.
Toutefois, au regard de cet objectif de sauvegarde du commerce, un restaurant indien est … un restaurant, au même titre que le restaurant auquel il souhaite succéder. Il est peu probable que le périmètre délimité par la commune prévoit la sauvegarde des restaurants gastronomiques, ce qui serait d’ailleurs d’une légalité discutable. Cette succession de restaurants ne porte donc pas atteinte à la sauvegarde du commerce.
Aussi, contrairement à l’opinion citée dans l’article, cette décision de préemption semble d’une légalité très contestable, une préférence gastronomique ne constituant pas un motif légal de préemption.
Benoît JORION
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public