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Préemption des baux commerciaux

LES DÉCRETS D'APPLICATION DE LA LOI DUTREIL, QUI PERMETTRONT AUX MUNICIPALITÉS DE PRÉEMPTER LES BAUX COMMERCIAUX, AU CONSEIL D'ETAT

Dans le 11e arrondissement de Paris, la guerre du maire Georges Sarre contre les grossistes chinois


Article paru dans l'édition du Monde du 13.03.07

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DANS le 11e arrondissement de Paris, où les grossistes chinois se sont massivement installés ces dernières années, comme dans d'autres quartiers urbains menacés de devenir des zones de monoactivité, le salut pourrait venir de la loi Dutreil. Adoptée par le Parlement en 2005, elle prévoit la possibilité pour les municipalités de préempter les baux afin d'y préserver la diversité commerciale. Il aura fallu quasiment deux ans pour que les décrets d'application soient prêts. Ils devraient être envoyés au Conseil d'Etat pour validation dans la semaine. « Il a fallu du temps », reconnaît Renaud Dutreil, ministre du commerce. « La diversité commerciale justifie l'intervention de l'Etat », nous explique-t-il.

« On a perdu deux ans, s'offusque le maire du 11e, Georges Sarre. On aurait pu sauver près de 250 boutiques. » Depuis 1995, ce bout réputé « bourgeois bohème » de la capitale vit au rythme d'une monoactivité que ses détracteurs qualifient d' « asphyxiante ». Sur les 850 commerces du quartier Sedaine-Popincourt-Chemin vert, près de 600 sont des grossistes en textile. Des Chinois pour la plupart qui ont créé, en quelques rues, un « supermarché géant » où une clientèle européenne se presse.

Les riverains dénoncent la disparition des commerces de proximités. D'ailleurs, 500 d'entre eux l'ont rappelé, le 5 février, lors d'une manifestation. La troisième depuis 2003, organisée par le maire chevénementiste du 11e arrondissement et baptisée opération « mairie en colère ».

« Le problème, ce ne sont pas les Chinois, c'est la présence en centre-ville d'une monoactivité inadaptée au tissu urbain dense de Paris, affirme M. Sarre. Les Chinois ont progressivement tout racheté. »

Conséquences : les pharmacies ferment les unes après les autres ; boulangeries, marchands de journaux, épiciers connaissent le même sort ; adieu charcutiers et poissonniers ! « Les Chinois sont des envahisseurs économiques, assure Pierre Millet, président de l'association des commerçants du 11e. Ils ont en rien à foutre du quartier. »

La semaine, c'est la valse des diables sur les trottoirs des rues. Des dizaines de 38-tonnes se succèdent dans les rues étroites. « Dès 8 heures du matin jusqu'au soir, ce sont les concerts de klaxons, les insultes, les rues bloquées », explique un habitant de longue date, Abdallah, 52 ans. Le week-end, c'est morne plaine.
« Des habitants quittent le quartier car il devient invivable », assure Martine Cohen, présidente d'Agir solidairement pour le quartier de Popincourt (ASQP). Une tendance que confirment les agences immobilières.
Les grossistes, de leur côté, se sentent victimes de harcèlement. « Ce n'est pas de notre faute s'il n'y a que le commerce du textile qui marche. C'est le business », se défend Cédric Hue, un grossiste. Pour Maxime Zhang, président de l'association des commerçants chinois du prêt-à-porter, « les grossistes créent des richesses et de l'emploi. Ce n'est pas ce que souhaite la France ? » Au fond, juge-t-il, sa communauté fait face à du « racisme ». Alors, pour « laisser respirer les riverains », il dit respecter la consigne de M. Sarre : que les grossistes n'ouvrent pas le samedi. Comme une trêve qui ne porterait pas son nom. Car dans le quartier, c'est « le maire qui fait la loi », ajoute M. Zhang. Démenti du côté de la municipalité.

« COLONISATION »

« Il faut arrêter de pointer du doigt les Chinois », affirme le patron du Savoyard, rue Popincourt. C'est un des rares commerces du quartier qui ne vend pas de tissu et propose des produits du terroir. Pour lui, les vrais responsables de la désagrégation du quartier, ce sont les habitants eux-mêmes. « Ils ne viennent jamais chez nous, affirme-t-il. C'est eux qui nous font crever et après ils viennent se plaindre. »

La Ville de Paris, elle, s'implique pour tenter d'endiguer « l'invasion » ou « la colonisation » de la monoactivité. En décembre 2003, le Conseil de Paris a délégué son droit de préemption sur l'achat de commerces à la Société d'économie mixte d'aménagement de l'est de Paris (Semaest), présidée par... M. Sarre. Aujourd'hui, la Semaest « maîtrise » plus d'une centaine de locaux, soit près de 15 000 m2 dans le XIe. Elle a dû débourser 35 millions d'euros. « C'est toujours ça qui n'ira pas à l'ennemi », indique la Ville de Paris. Une fois la boutique achetée, la société mixte installe des artisans. Plus d'une quinzaine ont déjà ouvert.

La prochaine entrée en vigueur de la loi Dutreil, qui autorisera les municipalités à préempter les baux commerciaux, devrait donc donner de nouvelles armes à M. Sarre.

Mustapha Kessous

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Commentaire : L’article L. 214-1 du code de l’urbanisme prévoit que « Le conseil municipal peut, par délibération motivée, délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité, à l'intérieur duquel sont soumises au droit de préemption institué par le présent chapitre les cessions de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux. »

Cet article ouvre donc désormais la possibilité de préempter les baux commerciaux et artisanaux, et non simplement les murs, comme c’était le cas auparavant.

Toutefois, cette loi votée en août 2005 nécessite un décret d’application qui n’a toujours pas été adopté. Cette carence du pouvoir réglementaire s’explique par la très grande difficulté de rédiger un texte qui doit organiser notamment comment, par application de l’article L. 214-2, la commune devra rétrocéder le bail.

Au regard de l’impatience de certaines municipalités à exercer ce nouveau droit, et de ses difficultés prévisibles d'application, il n’est pas douteux que le droit de préemption des fonds de commerce donnera lieu à un contentieux abondant.

Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris,
Spécialiste en droit public

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